Anthropologie anatomique

Travaux du L2APLyon

 

 

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1 - Définition

Etymologiquement le mot "anthropologie" est formé de deux termes d'origine grecque : "anthropos" homme et "logos " discours ou étude, il s'agit donc littéralement de l'étude de l'Homme sous tous ses aspects biologique, psychologique, économique et socio - culturel. Il est évident que prise telle quelle, cette "anthropologie"est si vaste qu'elle englobe une pluralités de sciences. C'est pourquoi jusqu'à une époque très proche on distinguait l'anthropologie physique,. étudiant l'ensemble des caractères biologiques (description, variation, évolution, transmission héréditaire) et l'anthropologie sociale ou culturelle ("anthropology " des auteurs anglo-saxons) étudiant l'homme sur les plans ethnographique et sociologique. 
En fait les phénomènes socio- culturels sont un des éléments de l' Eco - système humain [cf.
version pdf du cours polycopié : Anthropobiologie anatomique. Manuel pratique de morphologie et morphométrie du crâne et du post-crâne (p. 1)] et il est de plus en plus manifeste qu'il existe une forte corrélation entre eux et les phénomènes biologiques, en particulier morphologiques. 
L'environnement s.l. est un des facteurs de la variation humaine et vient, par conséquent s'ajouter aux facteurs héréditaires, on comprend donc aisément que l'anthropologie moderne ou encore anthropobiologie fasse appel à l'écologie et la génétique. 
La bio - anthropologie morphologique ( ou plus simplement l'anthropologie anatomique ) étudie essentiellement  le squelette humain, des fossiles de la lignée humaine jusqu'à l'Homme moderne, sous ses aspects descriptifs et métriques.L' examen  peut concerner également  le corps vivant, le cadavre ou dans des cas exceptionnels, le corps momifié.

Il faut noter  l'importance de la crâniométrie : les différents paramètres crâniens pris en compte ( et confrontés deux à deux en un indice, de formule générale : paramètre 1 x 100 / paramètre 2 ), permettent  d'établir le "portrait" morphologique  cranio - facial du sujet. Classiquement on distingue 6 indices : 

  • trois pour le crâne cérébral ou neurocrâne [ indice crânien horizontal ( ICH ) - indice vertical de hauteur ( IV ) - indice transversal de hauteur ( IT )]
  • trois également pour le crâne facial ou splanchnocrâne [ indice facial supérieur ( IFS ) - indice orbitaire ( IO ) - indice nasal ( IN) ]

 Pour plus de détails nous renvoyons le lecteur intéressé à :

  • version pdf du cours polycopié : Anthropobiologie anatomique. Manuel pratique de morphologie et morphométrie du crâne et du post-crâne (pp.9 et 10)
  • Précis d'anthropobiologie descriptive et métrique du squelette 2 - Le squelette crânien [html]

 

L' étude morphologique est fondamentale dans une perspective évolutive de la lignée humaine, par ailleurs, elle permet, dans certains cas, l'examen de pièces osseuses anormales, examen qui entre dans le cadre de la bio - anthropologie paléopathologique ou plus simplement la paléopathologie.

2 -Les recherches du laboratoire en Anthropologie Anatomique

2.1 - Techniques anthropométriques

En dehors des méthodes classiques de la bio - anthropologie morphologique, le laboratoire s'est intéressé à l'évolution de certaines  techniques anthropométriques, ainsi qu' à la mise au point de nouvelles : 

 

2.2 - Synthèse des résultats ( grandes lignes )

Le laboratoire s'intéresse à l’anthropologie de populations anciennes, réparties des époques protohistoriques au Moyen - Age, avec une préférence marquée pour cette dernière période.
Sur le plan géographique les recherches sont essentiellement centrées. sur la grande région Rhône - Alpes. Il est à noter, cependant qu'au cours des années, des circonstances particulières ( essentiellement sur la demande d'archéologues amis ) ont amené le laboratoire à entreprendre des travaux assez loin de sa zone d'influence, non seulement en France ( département du Var ) mais également en Grande Bretagne ( Colchester )! 
C’est ainsi que, dans les années 1965/1970, sur la demande de l'Abbé Raymond Boyer, Directeur du Laboratoire de Restaurations de Draguignan ( Var ), Pierre Morel et Raoul Perrot avaient créé l’antenne anthropologique varoise de l’Institut d’Archéologie Méditerranéenne ( situé administrativement, d'abord à Aix en - Provence ensuite à Toulon ). 

2.2.1 - Populations protohistoriques

Quatre gisements se rattachent à ces périodes : 

  • l’abri - sous - roche dit “Le Rond du Lévrier”, situé en Haute - Loire, près du Monastier - sur - Gazeille.
  • l’Aven funéraire de Plérimond, dans le Var .
  • le site d’Aulnat, dans le Puy - de - Dôme .
  • les sépultures de Précieux (ou Prétieux ) dans la Loire, près de Saint - Etienne .

L’abri du Rond - du - Lévrier [ Perrot ( R. ) et coll., 1976 - André ( M.), 1976 - Juillard ( J. ), 1976 ]

C'est le plus ancien. Formé sous une coulée basaltique récente, il a révélé quatre niveaux : 

niveau inférieur datable du Néolithique final (4750 BP) ; 
niveau chalcolithique - Bronze ancien (3810 BP) ; 
niveau Bronze Moyen(3370 BP) ; 
niveau gallo - romain ( pour mémoire )

Le niveau chalcolithique est caractérisé par des incinérations, contrastant avec les inhumations des niveaux qui l’encadrent. 
Le Rond - du - Lévrier est une sépulture collective, qui pour la région, joue le rôle d’une allée couverte comme celle fameuse de la Chaussée - Tirancourt (Somme) datée de 3770 BP. 
L’étude anthropologique a montré le remplacement progressif de petits Méditerranéens dolichocrânes, par des Alpinoides brachycrânes. 
Au Néolithique final nous avons deux types de Méditerranoïdes : 

Baumes - Chaudes, donc proches des sujets des grottes de Lozère et des anciens Méditerranéens cardiaux. 
Barmaz - Colombey, donc se rattachant à l’ensemble culturel méridional de Lagozza ( Piémont ), Chassey ( Saône - et - Loire ), Cortaillod ( Valais suisse ). Il est même certain , concernant les sujets de type Barmaz - Colombey, trouvés au Rond du - Lévrier, qu’ils représentent un faciès localisé de petits Méditerranéens danubiens.

Les brachycrânes ( type alpinoïdes ) apparaissent dès le Chalcolithique - Bronze Ancien et sont relativement plus primitifs que ceux rencontrés au Bronze Moyen, où ils se métissent, semble - t - il, avec des éléments dinaroïdes. 

L’Aven Plérimond [ Perrot (R.), 1969(2), 1971(2) - Perrot ( R.) et Morel ( P.), 1970

Il est beaucoup plus récent car datable, d’après les témoins archéologiques, de 2650 à 1550 BP. 
Nous avons là, également, affaire à une sépulture collective, dont l’étude est complexe du fait que les ossements sont mélangés sans aucune stratigraphie possible. 
Sur le plan morpho-phénotypique on retrouve la prépondérance des Méditerranoïdes et des Alpinoides, avec des métissages proches de ceux observés au Rond - du - Lévrier, à savoir des Méditerranéens danubiens du type Barmaz - Colombey et des Alpinoïdes dinaroides. 
A Plérimond, en dehors d’un cas intéressant de trépanation, nous avons relevé une pratique funéraire, se rattachant au vieux rite paléolithique des cadavres ligotés, encloués, brisés, etc. Dans l’ossuaire on est frappés par la rareté des os des membres supérieurs, ce qui laisse supposer que les cadavres devaient être amputés, avant de les jeter dans l’aven, comme si l’on avait voulu “les empêcher de remonter”!

Le site d’Aulnat [ Perrot ( R. ), 1967, 1968, 1969(1), 1970(2)  Perrot ( R. ) et Périchon (R. ), 1968, 1969(2)]

Des éléments brachycrânes sont retrouvés sur ce site auvergnat ( daté de l’Age du Fer - La Tène ). Ce gisement celtique est surtout remarquable par une pratique funéraire concernant les très jeunes enfants (nouveau - nés à 6 mois) dont les restes ( parfois incinérés ) sont situés dans l’habitat ( fond de cabane ). L’observation de ces inhumations nous a conduit à conclure à des sacrifices rituels, hypothèse corroborée par les découvertes faites par d’autres auteurs sur des sites d’age équivalent. 

Les sépultures de Prétieux [ Perrot ( R. ) et Périchon (R. ), 1969(1)]

L’incinération (qui caractérisait, le seul niveau Chalcolithique - Bronze ancien du Rond - du - Lévrier),  est très poussée pour les sépultures de Prétieux. Là, l’étude du contenu de 2 vases funéraires ( datables également de La Tène ) a montré qu’ ils ne renfermaient chacun qu’un seul individu, d’une vingtaine d’années. Le bon état (relatif) de conservation de la partie droite de la tête, permet de supposer que les deux cadavres ont été, chaque fois, déposés sur le bûcher funéraire en décubitus latéral gauche. 

2.2.2 - Populations historiques

Ce sont celles appartenant aux niveaux gallo - romain et médiéval . Etant donné la solution de continuité existant, de manière habituelle, entre les deux, il était normal (et logique) de les rassembler. 
A ces populations se rattachent les sites suivants : 

AIN : Murs - Gélignieux [ Perrot ( R. ) et Julliard ( A ), 1977
ALLIER : 

Creuzier - le Vieux  [ Perrot ( R. ) et coll., 1978 - Soulier ( D. ), 1989, 1990 ]

Néris - les - Bains   [ Perrot (R.) et Morel ( P.), 1971(2)
ARDECHE : Serrières [ Billard ( M. ), 1982

EURE et LOIRE : Chartres [ Savay - Gueraz ( R. ), 1980

ISERE :

Saint - Georges de Vienne [ Jannet - Vallat ( M. ), 1979Aubail ( R. ) et Perrot ( R. ), 1980 ]

Seyssinet - Pariset [ Perrot ( R.), 1970(1), 1973

LOIRE : Roanne [ Perrot ( R.), 1974(3)]

Salt-en-Donzy  [ Perrot (R. ) et Robin ( A. ), 1980

RHONE : Saint - Just de Lyon [ Blanc ( A.A. ), 1975)]

Sarcophage gallo - romain du Musée de Fourvière, Lyon [ Cochet ( A. ) et Perrot ( R. ), 1980

SAONE - et - LOIRE :

Tournus [ Perrot (R. ), 1971(1) ]

Boyer [ Perrot (R. ) et coll., 1977]. 

A ces références françaises nous ajouterons, pour terminer, l’étude de l’importante nécropole britannique de Colchester  [  Perrot ( R.) et Pionchon ( H. ), 1988 - Pionchon ( H.), 1989 ]. 

La population médiévale s’implante sur un fond autochtone gallo - romain qui, lui - même, est la résultante d’éléments locaux métissés à l’apport romain. 
Pour la grande région lyonnaise, il est impossible de ne pas parler, à l’époque médiévale, des Burgondes, dont M.R. Sauter (de Genève), établissait (en 1941) le normotype moyen : mésocrâne - orthocrâne - hypsicrâne - métriocrâne - mésène - hypsiconque et mésorhinien. 
Il est certain que le terme de Burgonde est souvent utilisé abusivement; cependant, des sujets très certainement burgondes, occupent les deux tombes de Murs - Gélignieux dans l’Ain. 
En ce qui concerne la nécropole mérovingienne de Roanne ( Loire ), la longue comparaison des indices crâniens avec des séries de référence montre nettement le passage des Burgondes suisses aux Mérovingiens roannais, par l’intermédiaire des Burgondes lyonnais. Il semblerait même que l’on puisse considérer les médiévaux roannais, comme le terme ultime (une vague à bout de souffle) de l’avancée burgonde en pays forézien. Particulièrement démonstratif est la variation de l’indice crânien horizontal ( ICH ), des Burgondes suisses aux Mérovingiens roannais en passant par les Burgondes lyonnais. 

 

ICH ( % )

Dolichocrânes

Mésocrânes

Brachycrâne

Suisses

35,3 ( H ) / 35 (F )

46,8 ( H ) / 45 ( F )

17,8 ( H ) / 30 ( F )

Lyonnais

20,8 ( H ) / 12,5 ( F )

41,7 ( H ) / 37,5 ( F )

37,5 ( H ) / 50 ( F )

Roannais

16,7 ( H) / 0 (F )

33,3 ( H ) / 25 ( F )

50 ( H ) / 70 ( F )


On remarque bien, en particulier, que la dolichocrânie et la brachycrânie varient exactement en sens inverse, en passant des Suisses aux Roannais, ceci étant particulièrement marqué pour les femmes. 

Du point de vue phénotypologie, cinq groupements ont été repérés à Roanne : alpinoïde - méditerranoïde - nordique - dinaroïde - danubien. Pour les éléments nordiques et méditerranéens, seuls les hommes sont concernés ceci confirme qu’à Roanne, comme dans la plupart des nécropoles médiévales, les envahisseurs germains, Méditerranéo - nordiques plus ou moins brachycéphalisés, ont pris compagne  sur place. L’élément dinaroïde est rencontré à Roanne comme il l’est, d’ailleurs, dans la plupart des autres sites médiévaux. Cette constatation pourrait confirmer l’hypothèse de R. Riquet, selon laquelle, les Dinariques vrais actuels seraient sans rapport génétique avec les Dinaroïdes néolithiques et apparaîtraient seulement au Moyen - Âge. 

L’élément danubien est certainement, par contre, une résurgence d’un vieux fond autochtone, remontant au moins, jusqu’au Bronze dans le Massif Central (abri du Rond - du - Lévrier). 
Tous ces résultats se retrouvent, avec quelques nuances, pour l'ossuaire de Serrières (Ardèche), où le fond racial est alpinoïde, mélangé aux deux composantes nordique et méditerranoïde. 

2.2.3 - Particularités funéraires

  • inhumations en deux temps : la cadavre étant d’abord abandonné à l’air libre, puis certains os (crâne en particulier) récupérés et incinérés ( Roanne )
  • pose de blocs de pierre sur les membres supérieurs ( photo ci - dessous ): cette pratique est à rattacher à celle signalée à propos de l’ Aven Plérimond   et montre, une fois encore, la peur de l’au - delà.
  • union dans la mort ” ( photo ci - dessus ) observé pour les deux jeunes adultes de Seyssinet - Pariset ( Isère ) dont la  tombe était totalement isolée :  cet isolement pouvant être  une sorte de" mise en quarantaine" justifiée par leur forte dolichocrânie et leur aspect crânien ( évoquant certains envahisseurs asiatiques ? ) très " exotiques " dans un milieu de brachycrânes alpins [ Perrot (R. ), 1971(1) ]
  • sarcophage ossuaire de Creuzier - le - vieux (Allier) contenant une vingtaine d’individus
  • corps momifiés de l’ossuaire de Serrières, en Ardèche. 

 

Pose de blocs sur les membres supérieurs ( Roanne )

Union dans la mort (grotte des Sarrazins, Seyssinet - Pariset ),cliché A.Bocquet, in Colardelle (M.),

1983.Sépulture et traditions funéraires du Vème au XIII ème après JC dans les campagnes des Alpes françaises du Nord. Soc.Alp.Doc. Rech.en Archéo.Hist.,Grenoble, 466 p.

Page mise à jour le 24/03/2015