PALEOBIOS 21 / 2020 / Lyon-France ISSN 0294-121 X / ISSN 2259-986 Petite incursion dans l'historique
d'une référence incontournable de l'anthropologie anatomique
moderne : le plan de Francfort
Pierre-Jean
Rigaud1-2 et Raoul Perrot1
1 Laboratoire d’Anthropologie Anatomique et de Paléopathologie de Lyon (L2APLyon) 2 Contact : pierrejean.rigaud@gmail.com Résumé Le plan de Francfort est devenu une
référence incontournable de l’anthropologie anatomique. Les deux auteurs
ont pensé intéressant de se pencher sur l’historique des travaux qui ont
présidé à son introduction en anthropologie. Mots-clés : plan de Francfort –
référence incontournable - anthropologie anatomique – historique des travaux Abstract: A small foray into the history of a major reference of
modern anatomical anthropology: the Frankfurt plan The Frankfurt plan has become a major reference for
anatomical anthropology. Both authors thought it interesting to review the
history of the work that led to his introduction into anatomical anthropology Key-words Frankfurt plan - major reference - anatomical
anthropology - work history Introduction Dans douze ans, en 2032, le plan de
Francfort (PF) aura cent-cinquante ans d’existence. En anthropologie
anatomique, et plus précisément en craniométrie, on fait constamment référence
- c’est précisément le mot exact - à ce plan. Cette référence universelle est
devenue une notion si courante que nous n’y prêtons plus guère attention. Les deux
auteurs ont estimé intéressant de se pencher sur l’ensemble des travaux qui ont
présidé à son introduction en anthropologie. 1-Définition Le Plan de Francfort est reconnu
comme un incontournable plan de référence anthropologique et un repère
important en radiologie. Il forme un plan avec trois points : les deux
marges supérieures des deux conduits auditifs externes (Po ou porion) et
le point le plus déclive du rebord inférieur de l’orbite (Or ou orbital)
gauche (en fait, avec l’orbite droite, on aurait quatre points, mais c’est déjà
mathématiquement inutile, de plus comme c’est l’usage en anthropologie, on
néglige le côté droit). C’est à partir de ce plan que sont relevés
depuis plus d’un siècle, toutes les normae, schémas et mesures,
métriques ou angulaires, de la craniométrie. Krogman [24]
écrira par exemple
que l’expression « mesured in the FH » est une
garantie d’une technique standardisée de mesure. 2 - Historique Le Plan de Francfort appelé
également Plan Horizontal de Francfort (PF ou PHF), Plan de Virchow (PV) ou
encore plan auriculo-orbitaire, a été adopté, à la fin du XIX° siècle, en 1882,
en Allemagne, lors d’un congrès d’anthropologie. Il fut à nouveau, plus
officiellement en quelque sorte, confirmé en 1887 à la conférence
craniométrique de Munich comme plan de référence anthropologique. La réunion à Francfort des
anthropologues, en majorité allemands semble-t-il, a eu pour but d’uniformiser
les méthodes et le langage, dans le domaine de l’orientation du crâne. Chez l’homme, en effet l’étude du
port de la tête ou de la position du crâne ne rencontrait aucune difficulté
tant qu’il s’agissait du plan vertical et du plan transversal, il en était tout
autrement avec le plan horizontal. Cette difficile gestion de l’horizontalité
engendra une multiplicité de plans ou d’axes, proposés ou utilisés par les uns
ou les autres selon des critères anatomiques, esthétiques, philosophiques,
sociaux, de simple commodité ou de convenance ; cela avait sans doute dû
débuter avec les sculpteurs égyptiens, grecs ou romains, plus près de nous on
sait qu’Albrecht Dürer [16],s’y intéressa même s’il ne se préoccupait
que de la tête et non du crâne, puis cela s’est poursuivi, au XVIIIe
siècle et au-delà, jusqu’à la fin du XIXe siècle : ce souci de
trouver un terrain d’entente a été jalonné aussi par diverses initiatives,
telle la réunion à Göttingen en 1861 sous l’impulsion de von Baër, telle
la figure dominante - pourtant non suivie par tous - de Paul Broca [5] en France (création de la
Société d’anthropologie en 1859, de la Revue d’anthropologie en 1872), cette multiplicité
prendra fin avec le congrès de Francfort. Ces diverses propositions
témoignaient de la recherche (Huxley [23]
avait écrit, en 1863, que pour comparer
les crânes, il faut une ligne fondamentale fixe) d’une référence commune, car
aucun des plans proposés jusqu’alors ne s’était imposé pour décrire, mesurer,
classer et comparer. Toutes ces initiatives - ou presque - montraient aussi à
des degrés divers, un souci d’associer à l’anatomie - sous réserve que les
points craniométriques, adoptés par les uns ou les autres, fussent
superposables - une justification fonctionnelle (équilibre, direction, du
regard, voire manducation). Paul Broca donna en
1861 une liste chronologique de dix de ses prédécesseurs où on relève les
auteurs suivants et leurs propositions : Louis Marie
d’Aubenton (1716-1800), dit Daubenton, premier directeur du
muséum d’histoire naturelle. Son plan [11]
passait par le bord postérieur du
trou occipital (O ou opisthion) et le bord inférieur des orbites (Or ou orbital).
Ce plan (Fig.2 : 1), faisait avec le plan du foramen magnum un angle
qu’il appela angle orbito-occipital. Pierre Camper (1722-1789), celui à qui on doit l’angle facial, proposa un plan horizontal (Fig.3 : 2) qu’il avait imaginé (1768), joignant l’épine nasale inférieure (Ns ou nasospinal) et le centre des conduits auditifs externes (en fait sa ligne horizontale n’est pas aussi horizontale qu’il le disait). Son travail ne sera publié qu’en 1791 après sa mort [9] Johann
Friedrich Blumenbach (1752-1840), proposa en 1795 [4] pas exactement un
plan, mais une vue (c’est d’ailleurs lui qui inventa le nom de norma
verticalis) lorsque l’on observe le crâne, privé de sa mandibule, reposant
naturellement par sa base sur une table), (Fig.1: 3). La position ainsi
prise par le crâne est tributaire des reliefs de cette base, elle peut être
différente (os altérés, absence de dents ou dents trop longues, mastoïdes
minuscules ou importantes) d’un crâne à l’autre, pouvant aller selon Broca à
des écarts de 12 à 16 °. Charles Bell (1774-1842)
qui avait remarqué que des crânes posés sur une table basculaient spontanément
en avant ou en arrière imagina [3]
de chercher l’axe vertical de la tête
avec une tige métallique introduite dans le foramen magnum jusqu’à la
voûte en mettant le crâne en équilibre sur la pointe de cette tige et lorsque
cette dernière, sans toucher les bords du trou occipital, se trouvait
exactement au milieu de la ligne joignant un condyle à l’autre, la tige ( Fig.2 : 4) concrétisait l’axe vertical du crâne (en même temps que qu’elle
était sensée matérialiser le vertex), . En fait cette verticale est une
question de poids et non de craniométrie. John Barclay [2]
adopta deux lignes basi-faciales (Fig.1 : 5 et 5’) : l’une dite
supérieure étant la direction de la voûte palatine, l’autre dite inférieure
étant la direction du bord inférieur de la mandibule. Ces deux lignes, pas
forcément parallèles, fonction des variations propres du palatin comme de la
mandibule sont totalement étrangères au neurocrâne, elles ont peut-être un
intérêt pour le dessin, mais pas pour la craniométrie. Georges Busk [7]
qui
avait remarqué comme Charles Bell que la ligne porion-bregma
était très souvent verticale, pensait que si on mettait cette ligne dans le
plan vertical, le crâne était positionné ipso facto (ligne de Busk, Fig.1 : 6). Comme pour la ligne verticale de Charles Bell, qu’un plan de
référence soit vertical n’a rien d’insolite, il suffit de prendre la
perpendiculaire à ce plan pour retrouver l’horizontalité des autres plans,
l’ennui est que la position du bregma est elle-même variable. L. A. Gosse [22]
un
précurseur de Busk, en plaçant le crâne sur une table comme Blumenbach, faisait
tomber une perpendiculaire à partir du bregma), (Fig.3 : 7). L’abbé Frère
(né en 1786, polytechnicien, puis prêtre)[19]
avait œuvré dans le même sens
(Fig.1 :8) et la même année que Busk (1838). En fait, selon ce dernier
lui-même - qui le cite - Frère ne se souciait que de séparer le crâne antérieur
du crâne postérieur, sans s’occuper des questions de position. Karl Ernst
von Baër (1792-1876) élabora (Fig.3 : 9) - un autre système [1] de
repère avec le bord supérieur de l’arcade zygomatique. Ce repère osseux
directement accessible à l’observation, était très séduisant - même si cette
arcade est étrangère au neurocrâne - quand l’arcade était rectiligne (ce qui
est souvent le cas), mais ce bord est parfois courbe ce qui altère toute
précision. C’est malgré tout ce plan qui fut adopté en 1861 au congrès de
Göttingen. Aeby proposait
(Fig.4 :10) une ligne, naso-basilaire, passant par la racine du nez (N ou
nasion) et le point antérieur médian du foramen magnum (Ba ou basion).
A noter que Paul Broca, qui ne la mentionne qu’en note, n’inclut pas
cette ligne dans sa liste (cf. supra) parce qu’il la trouvait trop
oblique par rapport à la direction du regard dont il s’était fait le défenseur. Paul Topinard (1830-1911) ajoutera en 1877 quelques autres auteurs et plans [28] : Merkel, dont le plan allant du centre du
conduit auditif au bord inférieur de l’orbite (Or ou orbital) est
presque superposable au PF (Fig.3 : 11). Hamy (1842-1908) proposait un plan (Fig.3 :12) passant par le point le plus saillant de la glabelle (G ou glabellaire) et le sommet de la jonction des sutures sagittale et lambdoïde (L ou lambda) . Son emploi est préconisé par l’auteur pour les crânes abîmés où face et (ou) condyles manquent. Rolle défendait un plan associant le centre du méat
auditif externe au point alvéolaire (Alv ou alveolon) (Fig.2 :13) ; Le plan de mastication (Fig.1 :14) lié à la surface des molaires, horizontal et appartenant au seul
splanchnocrâne, est donc guère - intuitivement – fiable pour orienter le
neurocrâne, même si, séparés en principe, neurocrâne et appareil dentaire ne
sont peut-être pas aussi indépendants que cela). Aisément matérialisable par
une règle mince plate insérée entre les deux arcades dentaires, ce plan a eu un
moment la faveur de Broca qui y a ensuite renoncé parce que trop
tributaire de l’état de la denture ; Le plan glabello-occipital
(Fig.1 :15) allant de la glabelle (G) au point le plus saillant de
l’occipital (Op ou opisthocranion), c’est dans ce plan qu’est compris le
diamètre antéro-postérieur du crâne classique de la craniométrie) ; Le plan naso-iniaque (Fig.3 :16)
allant de la racine du nez (N) au point le plus saillant de la protubérance
occipitale externe (I ou inion) : Le plan naso-opisthiaque
(Fig.4 :17) allant de la racine du nez (N) à l’opisthion (O). Cette
ligne serait admise, avec Girard et Huxley, comme parallèle aux
canaux semi-circulaires externes. Voir infra Rigaud (1961), (Fig.4 :
28). Louis Bolk (1866-1930) cet anatomiste hollandais (cité
par Perez [25]
) avait choisi une ligne
(Fig.4 : 18) - unissant le fronton (le point endocrânien au niveau
duquel la face postérieure de la paroi crânienne antérieure cesse de se porter
en avant pour continuer avec le toit du sinus frontal et des cellules
ethmoïdales) avec le pôle postérieur de l’endocrâne (point sagittal le plus
éloigné du fronton). Cette ligne, très compliquée à gérer sur un crâne intact,
deviendra plus accessible avec la
radiologie. Un peu plus tard Delattre et Fenard [12 / 13 / 14 /15] y ajouteront les plans proposés par les sept auteurs suivants : Spix (1781-1826) avec un plan
tangent à la face inférieure des deux condyles et le point médian le
plus déclive du bord alvéolaire supérieur) (Fig.4 : 19) ;
Lucae (1787-1821) avec un plan passant par
l’axe des deux arcades zygomatiques et le bord inférieur des orbites) (Fig.1 :
20) ;
Schmidt (1865-1919) avec un plan passant
par la racine des zygomas et le bord inférieur des orbites) (Fig.1 : 21) ; Krogman (1903-1987) avec un plan parallèle
au PF passant par le nasion) (Fig.1 : 22);
Morton (1799-1851) avec un plan passant
par les points culminants des quatre bosses frontales et pariétales) (Fig.3 : 23) ;
Bjork1 avec un plan passant par le centre
de la fosse hypophysaire et le nasion (Fig.2 : 24) ; Van de Brock1 avec la
tangente à la lame criblée et à la selle turcique (Fig.4 : 25). Cette succession, qui va enchevêtrer
les schémas (cf. Fig. 1, 2 , 3, 4) - et il y a eu, peut-être, d’autres essais 2 se
termine avec : Paul Broca (1824-1880)
qui, avec son plan alvéolo-condylien s’est attaché aux relations entre
l’orientation du crâne et la vision (Fig.4
: 26). A la recherche d’un
plan horizontal, il avait d’abord choisi, puis abandonné le plan de mastication
(cf. supra). Il adopta (selon les idées de Helmholtz) le concept
de l’homme debout dont le regard est dirigé vers l’horizon et finit par
admettre que le crâne était en position lorsque le plan alvéolo-condylien (plan
tangent à la face inférieure des condyles - milieu du bord alvéolaire) était
horizontal. Avec le craniostat qu’il se fit construire, il montra comment on
pouvait placer le crâne dans cette position horizontale. Sur le vivant on ne
peut connaître la position des condyles, mais un plan lui est parallèle, le
plan de mastication. Plan de vision, plan de mastication et plan
alvéolo-condylien lui semblaient parallèles entre eux, même s’il avait dû
renoncer au plan de mastication. Le plan alvéolo-condylien, très proche de
celui de Spix, ne sera pas retenu à Francfort, malgré les arguments que Broca
avait déployés pour le défendre : il lui était reproché d’être
inutilisable chez le vivant et d’induire une direction du regard trop élevée. Rudolf Virchow
(1821-1902), enfin, avec son plan dit « de Francfort » ou PF joignant
le bord supérieur du conduit auditif externe (Po ou porion) au point le
plus déclive du bord inférieur de l’orbite (Or ou orbital) sera celui
retenu (Fig.1 et Fig.2 : 27). En effet pour mettre un terme à la confusion (ou
la multiplicité) qui régnait – la liste supra et les figures (Fig.2 à Fig.4 en
témoignent – alors qu’aucun plan ne s’était vraiment imposé, les anatomistes
allemands adoptèrent comme compromis le plan horizontal de Virchow. La
notoriété de ce dernier - et l’absence de Broca, mort depuis deux ans - n’ont
probablement pas été étrangères au choix d’un plan dont on avait déjà beaucoup
parlé à Munich en 1877 et à Berlin en 1880. Mais, à Francfort, on n’a pas
finalement défini scientifiquement une attitude normale de la tête, le plan
adopté était purement anatomique, "basé sur l’à-peu-près" dira
ensuite Perez
[25]. Le plan adopté était un consensus, peut-être même
un pis-aller, mais il est devenu une référence aisée à utiliser sur le crâne
sec (si tant est qu’il soit en bon état de conservation) comme sur le vivant
(au prix de quelques approximations, mais plus proche de la réalité depuis la
radiologie). Cela n’a pas été aussi arbitraire qu’on pourrait le supposer, car
on avait là un outil simple et stable. La situation, après 1882 et la
consécration du PF à Munich cinq ans plus tard, était apaisée, si tant est
qu’elle eut été troublée3 en tout cas elle était clarifiée
et la situation est restée en l’état. Il sera souvent écrit aussi que les
allemands4
adoptèrent le PF et les français celui de Broca.
Mais, si le plan avait été adopté, un certain nombre de chercheurs cependant,
sans être dans la contestation ouverte, n’était pas entièrement satisfait de ce
plan, insuffisamment sous-tendu par la physiologie. On connaissait l’existence
de l’oreille interne, son rôle dans l’audition et l’équilibre s’imposa peu à
peu, puis, avec Röntgen (première radiographie en 1895), la radiologie entra
en scène et permit (radiographies et tomographies) de s’affranchir de la
dissection, procédé destructeur et malaisé. Une génération d’auteurs -
"post-Francfort" pourrait-on dire - se pencha sur les rapports entre
le labyrinthe et le PF, on y rencontre Girard [20],
Perez
[25] Delattre, Fenart [12
/ 13
/ 14
/15], plus tard, Rigaud et coll. [27], puis avec Bonjean
et coll. [6]
défendirent le plan nasion-opisthion ou plan de
Bordeaux plutôt radiologique, mais repérable aussi sur le vivant (ce
plan, repéré par le niveau d’eau ou un cerclage au plomb de l’orifice externe
du conduit auditif, affleure le rebord inférieur du conduit auditif)(Fig.4 : 28). Le plan vestibial (comme on commençait à le
nommer), même enclavé dans son bloc pétreux et échappant à l’observation
directe, trouvait son véritable rôle avec l’espoir de l’associer au PF. On ne
fera ici qu’effleurer le sujet, ces travaux importants, tant en matière qu’en
volume, dénatureraient le sujet de cette note, dédiée au PF. 3- Discussion On peut retenir comme acquis : a) Le plan lui-même, c’est-à-dire son existence :
il n’est plus nécessaire, en effet, d’avoir à choisir tel ou tel plan parmi
ceux qui avaient été avancés, voire même se doter d’un plan personnel, et ce
avec l’assurance et la tranquillité d’esprit de savoir que son texte sera
intelligible et vérifiable par tous. b) C’est un plan horizontal (ou proche de l’horizon,
ce qui nous est plus culturellement familier), tout en restant un consensus. Par contre on peut regretter : a) Son hétérogénéité :
c’est seulement une question de principe, une construction, hybride, fondée sur
deux repères osseux (les porions) qui relèvent du squelette crânien
(neurocrâne) et un repère osseux (l’orbital) qui relève du squelette facial (viscérocrâne ou splanchnocrâne), les premiers sont d’un accès
immédiat, aisé, le second (point le plus déclive) peut éventuellement en
nécessiter la recherche, a fortiori chez le sujet vivant. b) On peut aussi regretter le fait que le PF induise une direction du regard trop orientée vers l’avant. On imagine difficilement nos ancêtres, Néanderthaliens ou autres, ayant eu en permanence les yeux orientés volontairement vers l’horizon (ce que suggèrerait plutôt le canal semi-circulaire horizontal) : il était prudent sans aucun doute de regarder au-dessus des hautes herbes de la savane africaine ! Mais il était encore plus prudent de regarder vers le sol où on mettait les pieds pour déjouer toutes sortes de traquenards! A noter que Dastugue [10] émettait la même idée. c) On pourrait également déplorer que le choix du PF, un compromis, ait été arrêté sans qu’un lien fût fait avec cette réalité universelle et fixe dans l’espace, chez tous les vertébrés : le siège intra-pétreux de l’organe de l’équilibre, le labyrinthe et plus précisément le canal semi-circulaire externe. Le PF a été adopté comme s’il s’agissait d’une vérité scientifique alors que ce n’était (même si elle s’est révélée très utile) qu’une construction. Le labyrinthe, fixe, n’est pas l’objet d’une construction intellectuelle, les mathématiques nous enseignent un triaxe orthonormé qui se trouve dans la disposition des trois canaux semi-circulaires, réalité anatomique qui matérialise ce qui est le vrai plan horizontal (mais loin d’être d’un accès aisé qui oblige à détruire l’os - très compact - qui l‘entoure, ce qui ne se prête guère à la routine). Il y a une constante chez tous les vertébrés, c’est le système vestibulaire ainsi que la sujétion de ce dernier aux lois de la gravité. L’écart (Fig. 5 et Fig.6) entre PF et plan vestibial est de l’ordre de 28 à 37°, selon Perez [25] De plus, il y a une sorte de dissociation
chronologique entre l’ossification du squelette labyrinthique et celle du reste
du squelette crânien. Il est remarquable que chez un fœtus de 5 mois, le
labyrinthe ait déjà atteint les dimensions qu’il connaîtra à l’âge adulte
(alors que la tête ne mesure encore que 6 cm) avec un os très épais et très dur
qui ne connaîtra ensuite ni l’ostéoporose sénile ni de réparation en cas de
fracture. Il en sera de même pour l’anneau tympanal ainsi que les osselets qui
atteignent pratiquement leur taille définitive à la naissance. Le reste du
crâne s’ossifiera ensuite à son propre rythme, sans que le labyrinthe y
participe, ce qui compromet l’établissement de rapports anatomiques constants
entre labyrinthe et reste du crâne, effectivement des chercheurs ont trouvé des
asymétries (mais non statistiquement significatives) entre les deux
labyrinthes. Au cours du développement cérébral et crânien, le plan vestibulaire
restera immuablement horizontal. Pérez [25], avec une certaine logique,
avouait ne pas arriver à comprendre pourquoi on disait que c’est le plan
vestibial qui s’écartait du PF alors que c’est exactement le contraire : le
véritable plan horizontal est le plan vestibial, les autres plans, dont le PF,
ne sont que des constructions ! Conclusion. Sur le plan pratique, vouloir une correspondance trop
précise entre PF et canal semi-circulaire externe est d’emblée illusoire, de
plus ce que l’on observe sur le crâne sec et sur le vivant ne peuvent
guère être interchangeables. Le PF, malgré son isolement du labyrinthe, garde
son rôle de référence. Mieux vaut quelque chose d’imparfait, mais dont on cerne
les limites et qui soit une convention simple reconnue par tous que quelque
chose de plus "physiologiquement exact" mais d’approche plus
difficile et comportant des approximations elles-mêmes sujettes à variations. Cela étant, si des avancées en imagerie ou en
informatique parvenaient à réconcilier – de manière pratique - le labyrinthe
osseux et le neurocrâne, cela ne remettrait sans doute pas en cause le PF, mais
ce serait extrêmement apaisant pour les
anthropologues. Fig. 1
- Schéma, en norma lateralis, emprunté à
Krogman.
Les plans, affectés de leurs numéros dans le texte, y ont été
rajoutés.
Fig.2 - Craniogramme sagittal, emprunté à Perrot, ce croquis comportait en surimpression le tracé du PF. Les différents plans, affectés de leurs numéros dans le texte, y ont été rajoutés.
Fig. 3 -
Schéma, en norma lateralis, d’un crâne.
Les plans, affectés de leurs numéros dans le texte, y ont été rajoutés. Fig. 4
- Craniogramme sagittal, emprunté à
Topinard. A la différence de celui de la Fig. 2, Topinard n’a pas
tracé le PF en surimpression (cf.note3). Cd
correspond au relief du condyle droit, F au frontal et Af au néologisme d’antifrontal.
Fig. 5 - Schéma, du crâne et du rachis cervical, en norma lateralis, emprunté à Girard, illustrant les relations angulaires entre le PF et le plan vestibulaire CH. Le PF y a été rajouté pour illustrer l’ordre de grandeur de l’écart, de 30 °, entre ces deux plans. Le segment LL’ correspond à la ligne zygomatique.
Fig.6 -
Dessin, emprunté à Fenart et Canal, montrant la situation spatiale des canaux semi-circulaires externes
chez l’homme. Le PF a ensuite été ajouté au dessin, au
crayon.
Notes 1 - On imagine mal le travail de ces deux auteurs sans
le secours de la radiologie. 2 - En effet, on a relevé, à postériori, outre des plans issus de la pratique radiologique ou de la céphalométrie clinique, outre également des plans de superposition ( de points ou de structures, sur une base stable, pour des suivis de traitements ou de croissance), donc applicables au seul sujet vivant, les propositions suivantes : ligne Ba-Or, plan Na-Ba (Huxley), ligne Ba-Pr ( Virchow et Welker), horizontale de Lahaye (axe de l'arcade zygomatique), sans parler d'autres, d'ordre esthétique ou physiologique (vision), certains affirmant même qu'il n'y a pas d'orientation constante pour les crânes, chacun ayant son orientation propre. 3 - On doit cependant relativiser : l’édition, posthume
de l’ouvrage de Paul Topinard,
en possession de l’un de nous, ne mentionne pas une seule fois le Congrès de
Francfort et le Plan de Virchow. Cela n’avait rien d’étonnant pour la première
édition (1876), mais comme il y a eu des rééditions (la cinquième en
1895 !) et comme l’auteur n’est décédé qu’en 1911, ce ne peut être un
oubli, mais il ne nous appartient pas de prendre position sur le sujet. 4 - En témoigne le terme "horizontale
allemande", relevé dans une communication à la Société d’Anthropologie
de Lyon, en 1907, soit 25 ans après Francfort.
Bibliographie [1] Baër (K. E.) von, 1824, Vorlesungen über
Anthropologie.
Königsberg [2] Barclay
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par Broca. [3] Bell (C.), 1809, cité par Broca (1873). [4] Blumenbach (J. F.), 1795, De generis humani
varielate nativa, sect. III, § 61, tab. III, Göttingen. Cité par Broca. [5] Broca (P.), 1873, Sur le plan horizontal de la
tête et sur la méthode trigonométrique, Bull. Soc Anthrop. Paris, II, T
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Acad. Soc. Lorr. Sci., IX, 1, 297-303. [7] Busk (G.), 1861, Transactions of the
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Intérêt des plans ampullaires. Leurs perspectives et leurs limites. Bull.
Acad. Soc. Lorr. Sci. IX, 1, 318-327. [9] Camper (P.), 1791, Dissertation sur les
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l’Académie des sciences. Cité par Broca. [12] Delattre (A.), 1950, La méthode en craniologie, Bull.
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crânienne, détection et résultats. Bull. Mem. Soc. Anthrop. Paris, 4-3,
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de la philosophie de l’histoire, cité par Broca. [20] Girard (L.), (1911), Atlas d’anatomie et de
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Soc. Anthrop. Paris, 10, 79-99. [22] Gosse (L. A.), 1855, Essai sur les
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(W. M.), 1962, The Human Skeleton Forensic Medicine, Thomas Ed. Springfield [25] Perez (F.), (1922), Craniologie vestibienne,
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1961, Etude du plan Nasion-Bord inférieur des conduits auditifs externes ;
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Topinard (P.), 1922, L’anthropologie, A. Costes Ed. Paris. [29] Virchow (R.), Cf.: The
Rudolf Virchow plan. British Medical Journal, 1888, p.1351.
Petite incursion dans l'historique d'une référence incontournable de l'anthropologie anatomique moderne : le plan de Francfort (Pierre-Jean Rigaud et Raoul Perrot), PALEOBIOS, 21 / 2020 / Lyon-France ISSN 0294-121 X / ISSN 2259-986
[Mise en ligne : 02/05/2020]
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