PALEOBIOS , 15 / 2007 / Lyon-France ISSN 0294-121 X
Biométrie faciale et expertise d'oeuvres d'art Raoul Perrot ¹ ² ³
1 - Contacts mail : raoulperrot@wanadoo.fr . 2 - Expert en Anthropologie d'identification près la Cour d'Appel de Lyon, France. 3 - Directeur du Laboratoire d’Anthropologie Anatomique et de Paléopathologie, Université Claude Bernard-Lyon 1 .
Résumé : La biométrie est de plus en plus utilisée comme technique d'identification, en particulier dans le domaine judiciaire (cadavre, auteur de vol à main armée). Depuis quelque temps un nouveau domaine s'ouvre à ce type d'investigation, c'est celui des oeuvres d'art, avec l'expertise de tableaux représentant des portraits peints .
Mots clés : Biométrie - identification - domaine judiciaire - cadavre - auteur de vol à main armée - oeuvres d'art - expertise - portraits peints
Abstract : Biometry and works of art expertise Biometry is more and more usefull as identification technique particularly in forensic sciences (corpse, armed robbery). For some time now a new field is opened with works of art and face painting expertise.
Key Words : biometry - identification - forensic field - corpse - armed robbery - works of art - expertise - face painting
1 Introduction
La biométrie (ou anthropobiométrie : littéralement "mesure du vivant") est de plus en plus utilisée comme méthodologie d'identification dont le but est de donner un nom à une personne inconnue. Classiquement c'est le domaine judiciaire ( Perrot, 1996) qui est concerné :
Depuis quelque temps un nouveau domaine s'ouvre à ce type d'investigation, c'est celui des oeuvres d'art, avec l'expertise de portraits peints (Perrot, 2005 , 2007). Si on laisse de côté les techniques sophistiquées (souvent longues et onéreuses) telles empreintes digitales, empreintes génétiques, examen de l’iris, voix, réseaux capillaires, etc.., l’identification la plus basique, se fait en fonction du visage qui « cristallise l’identité de l’individu »( Le Breton & Grobois, 1993). La reconnaissance d’un visage est le fait d’une tierce personne ou d’une caméra vidéo de surveillance. Dans les deux cas le processus est le même et, une reconnaissance positive implique obligatoirement :
Finalement le processus intellectuel d'identification peut être résumé par le schéma suivant : "apprentissage" / m émorisation / r econnaissance. En d’autres termes le cerveau humain (via l’œil et les aires psychovisuelles cérébrales) ou la caméra vidéo (via la base de données mémorisées dans l’ordinateur) ne pourront reconnaître que ce qu’ils connaissent déjà! Le problème se pose donc lorsqu’il s’agit de la reconnaissance d’individus dont le visage ne correspond à aucune information déjà intégrée : il devient alors, indispensable d'avoir un visage de référence, auquel pourra être comparé celui inconnu. Dans le domaine artistique, l'identification est en fait l'authentification d'un visage peint. L’examen du portrait inconnu va être différente selon que l’auteur de l’œuvre, est connu ou non et, de ce fait, le but recherché va être différent :
Un excellent exemple du deuxième cas est donné actuellement par "La Madone de Laroque" [1] représentant la Sainte Vierge allaitant Jésus, avec Saint Jean-Baptiste à ses côtés et qui pourrait avoir été peinte par Léonard de Vinci! Une nouvelle expertise de l'oeuvre va avoir lieu avec la recherche d'empreintes digitales du maître toscan! Selon le propriétaire, une trace de doigt a déjà été révélée par une radiographie, sous l'oeil de Jésus. Si ceci est confirmé, l'empreinte sera confrontée à la banque de données du laboratoire de Chieti, forte de deux cents empreintes du maître découvertes au niveau de ses codex, dessins et autres peintures (agence AFP, Montpellier, 9/11/2007).
2 Matériel et méthode
En 2005, le Département Design (Mme Laure Pietras) du Laboratoire Cosmo Di Medici de Paris, nous proposait une expertise anthropologique comparative de photographies d’œuvres d’art concernant le peintre Benvenuto Cellini [2]. L'originalité de cette demande était telle que nous l'avons immédiatement acceptée! Le matériel d'étude comprenait les 4 photographies suivantes (planche photographique) :
La problématique de l'étude proposée était de déterminer, par rapport au visage de Cellini (portrait 1), pris comme visage référentiel , si :
Les visages 1, 3 et 4 étant représentés de profil /3-4 gauche, le 2 a été inversé pour concerver cette même orientation. Pour l’expertise demandée, nous avons procédé selon notre technique habituelle de photocomparaison ( Perrot, 1996) , mise au point dans le cadre d’expertises judiciaires où nous sommes amenés à comparer des clichés issus de vidéos d’établissements bancaires victimes d’un vol à main armée, et montrant l’auteur (ou les auteurs) du hold - up en action, avec des photos du (ou de plusieurs) prévenu(s)[4] . Sur les deux photographies ( visage de référence / visage inconnu) sont positionnés des points anatomiques qui reliés entre - eux selon des critères précis - fournissent des paramètres et des indices ainsi que des valeurs angulaires. Il est important de noter que l’étude comparative ne prend jamais en compte la comparaison des valeurs brutes d’un même paramètre sur les deux clichés mais celledes rapports indiciaires confrontant les paramètres deux à deux , dans chaque cliché : ce qui offre l’avantage considérable de pouvoir travailler sur des photographies n’étant pas à la même échelle ! La ressemblance entre le visage inconnu et celui de référence va être établie en prenant en compte la différence algébrique des valeurs angulaires ( ou indiciaires), selon la modalité suivante : la valeur sera positive (ou négative) selon que la valeur angulaire (ou indiciaire) du visage inconnu est supérieure (ou inférieure) à celle du visage de référence. Ensuite la somme algébrique de l’ensemble des intervalles indiciaires est calculée puis divisée par le nombre de valeurs angulaires (ou indiciaires) prises en compte : le résultat ainsi obtenu (= moyenne algébrique) va permettre l’identification (c’est à dire l’assimilation visage inconnu / visage de référence), qui sera considérée comme certaine pour une moyenne nulle (= probabilité de 100%)(tableau1). Il est évident que plus on s'éloigne de cette valeur idéale de "zéro", plus la ressemblance décroît : en fait, elle varie en sens inverse tombant à 90% pour 1, à 80% pour 2, 70% pour 3 et ainsi de suite.
Sur les quatre portraits ont été positionnés 7 points faciométriques déterminant 11 paramètres et 6 angles (tableaux 2 et 3 - planche photographique) :
Chacun des portraits 2,3 et 4 a été comparé avec le portrait référentiel à la fois au niveau angulaire (6 valeurs) et au niveau indiciaire (9 valeurs), puis une synthèse de ces résultats a été effectuée (15 valeurs) ( tableau 4).
3 Résultats Tableau 3 : Ensemble des valeurs retenues
Tableau 4 : Comparaisons angulaire et indiciaire
4 Discussion Sauf pour la comparaison 4/1 on remarque que les valeurs indiciaires donnent de plus fortes différences que celles angulaires : de 1.04 à 16.27 pour les premières contre seulement de 0.17 à 2.83 pour les secondes : on peut donc en conclure qu'il existe une plus grande proximité angulaire qu'indiciaire entre le référentiel et les trois autres portraits.La synthèse globale ( comparaison angulaire + comparaison indiciaire) permet de préciser ce résultat intermédiaire :
En complément de l’analyse métrique, l’anatomie comparative fournit, des éléments importants de confirmation de la ressemblance des portraits 2 et 4 avec 1 (planche photographique) allant dans le sens d’une assimilation positive :
5 – Conclusions
De l’ensemble des résultats précédents on peut donc extraire les conclusions suivantes :
6 – Remerciements
L'Auteur tient à exprimer ses remerciements au Laboratoire Cosmo di Medici et , en particulier, à Madame Laure Pietras à l'origine de l'expertise dont le contenu a servi de base scientifique à l'article présenté ainsi qu'à Madame Stéphanie Bordarier Lascours qui en a autorisé la publication " à des fins d'information et ce, sans aucune restriction".
7 - Notes
[1] "La Madone de Laroque" est la propriété, depuis 1998, de M. Leclerc et deux de ses amis : le tableau, peint sur un panneau de peuplier, a été découvert en chinant dans un dépôt-vente, à Laroque (sud) et acheté 1.500 francs, soit quelque 230 euros. "Il était tellement sale que les anciens propriétaires en ont eu marre et l'ont mis en vente", raconte M. Leclerc. "On l'a fait nettoyer et on s'est rendu compte qu'il était très renaissance", dit-il. "Ce qu'on voyait était très léonardesque". Depuis, le tableau a fait l'objet de nombreuses expertises, certaines réalisées par les plus grands experts de l'oeuvre de de Vinci, dont Alessandro Vezzosi, directeur du Museo ideale da Vinci. Les experts situent sa réalisation entre 1490 et 1510. "La Madone de Laroque" dort depuis un certain nombre d'années dans le coffre d'une banque. Elle vient de recevoir une autorisation de sortie temporaire du territoire français, délivrée par le ministère de la culture, afin de subir une nouvelle série d'expertises en Italie ( agence AFP, Montpellier, 9/11/2007).
[2] Benvenuto Cellini, peintre,sculpteur, orfèvre et médailleur italien, est né à Florence, en 1500.C'est un personnage au caractère ombrageux : on cite volontiers à ce sujet sa rivalité avec Giorgio Vasari, son cadet d'une dizaine d'années, avec qui il s'était heurté au moment des obsèques de Michel Ange, alors que, par ailleurs il avait accepté de poser pour lui! Cellini est célèbre pour sa Salière de François Ier, figurant Neptune et Amphitrite ainsi que par son bas relief de la Nymphe de Fontainebleau, oeuvres exécutées de 1540 à 1545, lors de son séjour à la Cour de France. De retour à Florence, auprès du grand duc Cosmo di Medici, il sculpte pour ce dernier le célèbre Persée de la Loggia dei Lanzi. Il meurt à Florence en 1571.
[3] Giorgio Vasari, peintre, architecte et écrivain italien est né à Arezzo (1511). C'est à Florence qu'il commence sa carrière, enseigné par Michel Ange et Andrea del Sarto. Il se partage entre Naples, Rome et Florence justement. En dehors de son portrait de Benvenuto Cellini et de " La forge de Vulcain", oeuvres qui sont au centre de notre travail, sa renommée vient de ses peintures effectuées à Rome, au Vatican : "Les scènes de la vie de Paul III", "La bataille de Lepante", trois "Scènes de la Saint-Barthélemy" ainsi que ses travaux réalisés à Florence, où il achève le Palais des Offices et couvre de fresques le Palazzo Vecchio. En tant qu'écrivain il est célèbre pour ses "Vies des plus excellents peintres, sculpteurs et architectes", ouvrage monumental écrit de 1542 à 1550, remanié et complété plusieurs fois. Il meurt à Florence en 1574.
[4] D'autres auteurs utilisent une technique similaire, en particulier l'équipe du Forensic Medicine and Science, University of Glasgow, UK. Leur dernier travaux ( Kleinberg et all., 2007), semblerait jeter un doute sérieux sur la fiabilité de telles méthodes, surtout quand les résultats sont utilisés en justice dans l'identification de responsables de vol à main armée! Mais un tel résultat peut facilement être justifié par l'insuffisance du nombre de points faciométriques retenus : seulement trois, ectocanthion, nasion et stomion. En ce qui nous concerne, de nombreux résultats positifs dans le domaine judiciaire nous incitent à continuer dans cette voie, tout en continuant à travailler dans l'amélioration de la méthodologie [projet IDASOR : IDentification ASSistée par ORdinateur des auteurs deVMA, projet présenté dans le cadre des CSOSG (Concepts Systèmes et Outils pour la Sécurité Globale) en partenariat avec l'Ecole Centrale de Lyon].
8 - Références bibliographiques
Kleinberg KF, Vanezis P & Burton AM.(2007). Failure of anthropometry as a facial identification technique using high-quality photographs. J Forensic Sci .;52(4):779-83. Le Breton D & Grosbois Ph (1993) . Le visage, symbole de notre identité. Le journal des Psychologue s, n° 105, pp.14-18. Perrot R (1996) . Use of Anthropological Methods in the Identification of Unknown Individuals : Human Remains and Armed Robbers. 14 th Meeting of the International Association of Forensic Sciences , Tokyo, Japan. Perrot R (2005) . Expertise anthropologique comparative de photographies d’œuvres d’art concernant le peintre Benvenuto CELLINI. Demandée par Mme Laure PIETRAS, Département Design, EURL Laboratoire Cosmo Di Medici,15 rue de Choiseul, 75002, Paris, France. Perrot R (2007) . Expertise anthropologique comparative de photographies de tableaux concernant les peintres Bernardino Luini et Leonardo da Vinci . Demandée par Mme Stéphanie Bordarier Lascours, Département Design, EURL Laboratoire Cosmo Di Medici,15 rue de Choiseul, 75002, Paris, France.
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