Les représentations humaines, sexuelles et sexuées, au Paléolithique supérieur, en Europe [Mémoire du CSBM Anthropologie (2005/163), présenté par Laure PIERREL] [ retour au menu général de navigation] 2 - La réalité en matière de sexe et de sexualité
Parler de « réalité » concernant la préhistoire et les hommes de cette époque peut paraître utopique dans la mesure où il est impossible de dire ce qui est faux parmi toutes les hypothèses établies. André Leroi-Gourhan ( 1965 ) s'est attaché à faire parler les traces de l'homme préhistorique plutôt que de lui prêter les pensées et les paroles des hommes actuels : « Cette création d'un homme préhistorique vivant et compréhensible représente une étape décisive ; pourtant on peut formuler aujourd'hui un reproche de méthode. Prendre chaque fois un cas tiré de la préhistoire pour rechercher le cas correspondant parmi tous les peuples vivants connus n'éclaire pas le comportement de l'homme préhistorique. La seule preuve qui soit attribuable à l'homme préhistorique s'inscrit dans le même cadre que le comportement de l'homme récent, c'est-à-dire que l'homme préhistorique a possédé un comportement humain au sens actuel. » Et nous avons déjà insisté sur la proximité entre l'homme préhistorique et l'homme moderne. « [...] Par quel moyen peut-on espérer embrasser autre chose que l'ombre des Australiens et des Esquimaux, voire de quelque sorcière de nos campagnes ? Peut-être pourrait-on interroger l'homme préhistorique lui-même. Il est difficile de converser avec un mort sans apporter soi-même les répliques, sinon peut-être en apportant un procédé d'étude qui permette de séparer rigoureusement ce qui est document de ce qui est hypothèse explicative. » La vie sexuelle au Paléolithique demeure un grand mystère que l'on tente de percer grâce aux images tirées de cet art paléolithique : les corps de femmes, d'hommes, les vulves, phallus, scènes d'accouplement, signes géométriques... qui sont les « documents » sur lesquels nous allons nous pencher individuellement et à partir desquels nous allons tirer des « hypothèses explicatives ». Dès la Préhistoire, l'Homme s'est soucié d'exprimer par des dessins sur les parois des grottes ses préoccupations, ses obsessions, et notamment des dessins érotiques ou sacrés - on ne sait pas très bien. Les illustrations les plus fréquentes sont celles de vulves, et non pas de pénis ; ceci semble étonnant car on imagine volontiers l'homme préhistorique tout-puissant par rapport à la femme, femme-objet, et cette puissance masculine s'affirmerait en premier lieu par la puissance phallique. De nouvelles approches ont permis de repenser les relations entre hommes et femmes au Paléolithique, et de réévaluer le rôle de la femme dans la Préhistoire - notamment grâce au courant féministe des années soixante et au nombre croissant de femmes archéologues, et l'on pense immédiatement à Claudine Cohen (2003), leader de la défense d'une image de la femme plus digne.
2.1 - Réalisme dans les représentations sexuées du corps féminin
L'image de la femme est prépondérante au sein de l'art paléolithique, c'est un thème central. Le corps possède un véritable langage dont l'art est la manière de le transcrire. Qu'elles soient masculines ou féminines, les images sexuées sont des représentations figuratives très réalistes, synthétiques, et même analytiques, rarement géométriques.
2.1.1 - Les images génitales féminines
Chronologiquement, les images de vulves sont les plus anciennes représentations du corps féminin, par segmentation : « une partie pour le tout », selon les propos d'André Leroi- -Gourhan, suffit pour représenter le thème féminin. Concernant la morphogénèse corporelle et organique, rappelons que les lèvres vulvaires sont une innovation des primates les plus évolués ; la vulve des quadrupèdes est des plus « rudimentaire », faite au maximum de deux bourrelets bordant l'orifice vaginal. La position verticale de la femme bipède appelle ainsi le regard masculin sur le milieu de son corps, de dos comme de profil, la vision étant primordiale dans l'acte sexuel. Ni postérieur, ni totalement antérieur, l'organe sexuel externe féminin est donc à cheval sur le bas-ventre et l'entre-cuisse dans une situation originale qui permet à la femme d'en montrer une partie tout en cachant le reste. La pilosité du sexe féminin, qui, nous l'avons déjà remarqué, est propre à l'humain, est l'indice optique le plus flagrant du sexe féminin. Les premiers humains savaient déjà bien représenter le sexe de leurs compagnes ( si du moins ces artistes étaient des hommes ). Les vulves sur blocs rocheux de La Ferrassie et de l'Abri Cellier, en Périgord, semblent être les plus anciennes images gravées ( fig.5). On peut distinguer plusieurs types de représentations du sexe féminin ( fig.6) : le triangle pubien ( en vue pubienne ) ou signes triangulaires et « scutiformes » : réalistes ; rarement, la pilosité est figurée ( seulement à La Ferrassie ) ; l'orifice génital ( en vue périnéale ) ou « signes ovales » ou piriformes : très fréquents ; un corps vu de profil : les « claviformes ». Leroi-Gourhan les classe parmi les signes mystérieux et remarque que ces images génitales féminines sont fréquemment accompagnées de figurations animales et de séries de bâtonnets et de cupules qui sont des représentations énigmatiques ( voir infra ). Mais les spéculations à propos de ces images vulvaires sont nombreuses et certaines de ces gravures ne représenteraient pas des sexes féminins mais des sabots de cheval ( Nougier, 1982 ) ( fig.7). Comment différencier sexe féminin et sabot de cheval ? Le sexe fait l'objet de figurations nettement triangulaires, la pointe en bas ( mais il est difficile d'orienter les gravures ! ), avec une fente vulvaire profonde, comparable au sexe féminin de figures féminines telles que les gravures sur argile de la grotte de Bédeilhac ( Ariège, France ), sur les statuettes de Willendorf ( Autriche ; fig. 10) ou Dolni Vestonice ( République tchèque ), ou sur « la femme à la corne » de la gravure de Laussel ( Dordogne, France ; fig. 16). Le sabot de cheval présente des traits nettement circulaires, profondément ouverts ; l'ouverture est précisée par un trait vertical marqué ; un cercle délimite la paroi externe... Or, l'anatomie du cheval était bien connue à cette époque. Pour René Rougier, 1982 ), le modelage de Bédeilhac assimilant la femme à son sexe « n'implique guère un psychisme très élaboré chez l'exécutant et ne constitue qu'une étape bien modeste dans la longue et dure voie de l'humanisation ». De telles gravures sont retrouvées encore dans l'abri de Fongal, dans l'abri Cellier, à Tursac, sur des parois ou sur des blocs de l'abri Blanchard et à La Ferrassie ( Dordogne, France ). A Tito-Bustillo ( province des Asturies, Espagne ), cinq vulves à l'ocre rouge sont isolées du reste des représentations animalières, tout comme à Bédeilhac ; elles sont très réalistes et quelques points au-dessus de la fente vulvaire pourraient représenter la pilosité. Même si spectaculaires, ces représentations élémentaires du sexe féminin ne sont pas fréquentes : actuellement, on compte en moyenne une vulve par millénaire.
2.1.2 - Les figures féminines gravées ou sculptées
Elles sont plus tardives, après l'apogée des organes génitaux à l'Aurignacien. On distingue deux styles, deux époques dans les dessins de femmes : - du Gravettien au Magdalénien, les figurations féminines sont réalistes ; ce sont les Vénus et les reliefs, et des symboles sexuels simples ( voir supra ) ; - plus récemment, au Magdalénien, les figurations sont davantage stylisées ; les hanches, les croupes et les seins sont très accusés. On recense aujourd'hui largement cinq cents exemplaires de statuettes féminines préhistoriques, ce qui reste cependant très inférieur aux représentations animalières. On les rencontre du Lac Baïkal ( Mongolie, Sibérie ) à l'Atlantique, sur une période de vingt millénaires et sur une étendue de neuf mille kilomètres ; mais elles sont plus nombreuses à la fin du Magdalénien et dans le quart sud-est de la France ( huit pour cent des statuettes découvertes parmi lesquelles une des plus connues : la Dame de Brassempouy ( Landes, France, fig.8). Les matériaux employés sont l'ivoire, l'os, la pierre, l'argile. Ces figurations féminines sont influencées par les modèles, les goûts du créateur et par les modes qui ont dû se succéder pendant ces vingt millénaires... On peut distinguer deux types de figures féminines : les unes sont adipeuses, avec un bassin très développé, des hanches débordantes et donc une disproportion entre le haut et le bas du corps ; on a pu parler à leur propos, utiliser le terme de stéatopygie ( telle la femme hottentote ; voir infra ). D'autres sont sveltes, ont la taille fine et les seins menus. Face à ces deux types de femmes, certains préhistoriens affirment qu'il ne s'agit pas de la réalité des femmes de l'époque, mais d'une exagération, de l'objet de fantasmes ( masculins ? ) et de rêves économiques ( les femmes opulentes signifiant une richesse de l'alimentation et donc de la cueillette et de la chasse ). Mais cette statuaire féminine ne pourrait-elle pas reproduire les différents types physiques de la femme préhistorique et représenter la diversité du vivant, tel qu'il existe aujourd'hui un polymorphisme de femmes grandes, petites, minces ou rondes ? Ces statuettes peuvent trouver différentes significations : -Sont-elles des images de la réalité féminine du temps ? ( nous en verrons les différentes formes par la suite ) -Répondent-elles à un idéal esthétique de l'époque ? -Ont-elles un caractère érotique ? -Sont-elles des représentations des ancêtres de la famille ou de la tribu ? -Les statuettes étaient-elles échangées comme des offrandes, la femme étant, dans de nombreuses civilisations, un objet de transaction ? -Sont-elles des images utilitaires destinées à quelque rite de fécondité, et donc des objets de culte et de vénération ? ( voir infra ) -Sont-elles des prêtresses à la tête de rites magiques, assurant ainsi le succès de la chasse ? -Certaines étaient conçues pour être plantées dans le sol ( elles portent un pédoncule ) : avaient-elles un rôle de protection du foyer ? Ou d'ex-voto du souvenir ? Ce qui soutient la thèse selon laquelle les femmes constituaient le noyau principal du clan matrilocal. -Sont-elles des réceptacles pour les esprits de maladies ? -Sont-elles des amulettes pour protéger la grossesse ? des talismans pour les femmes voulant devenir enceintes ? -Ont-elles un rapport avec le culte des morts ? ( car on en retrouve dans les sépultures) -Sont-elles purement esthétiques ou artistiques ? -Faut-il tout simplement les imaginer comme des jouets d'enfants ( notamment les statuettes qui sont asexuées ) ? Quoi qu'il en soit, ces statuettes correspondent à des femmes « vivantes, réelles, actives » ( Cohen, 2003 ). Parmi toutes ces figurations féminines, dont nous allons faire la description des plus représentatives, il nous faut faire plusieurs remarques.
¦ Le rôle particulier de la nudité : la plupart des statuettes féminines paléolithiques représentent des femmes nues avec parfois quelques détails de vêtements, de coiffures ou de parures simples. Elles sont nues alors que les conditions climatiques de l'époque étaient loin d'y être favorables ( époque glaciaire ). A Bédeilhac, une figure féminine représente un visage emprisonné dans une capuche ( fig.8) ; la tête à la capuche de Brassempouy est couverte, elle aussi par au moins une chevelure signifiée par un quadrillage ; dans la grotte du Gabillou ( Dordogne, France ) est gravée la « femme à l'anorak » dont on fait une analogie avec les habits esquimaux... La Vénus de Lespugue ( fig. 9), vue de dos, montre un tablier qui descend de la taille sans couvrir le fessier. On peut donc supposer que la nudité féminine portait une signification particulière. La nudité, d'abord, rend l'identification sexuelle plus aisée. Peut-être encore, leurs compagnons éprouvaient un certain plaisir à voir les femmes nues et à les dessiner ainsi..., car le plaisir visuel, rappelons-le, facilité par la bipédie, tient un rôle majeur dans les comportements sexuels.
¦ Le rôle particulier des cheveux : les statuettes féminines, lorsque la tête est figurée, sont fréquemment ornées d'une coiffure ou d'une toque. Or, d'après la tradition, en ethnologie, les cheveux représentent la puissance vitale de l'homme ( Zwang, 2002 ) ; ils visaient donc peut-être à accroître la puissance magique des statuettes... ?
¦ Autre particularité : l'absence de visage ou de mimiques : de nombreuses figures féminines n'ont ni tête, ni membres, et lorsque la tête est présente, bien souvent, les traits du visage, et notamment les yeux, ne sont pas représentés ; il y a à la place une surface plane et lisse alors que le reste du corps est réalisé avec beaucoup de soin. Il est probable que ces statuettes soient aveugles car les yeux « animent le visage » ; or, dans les civilisations animistes, l'humain ne possède pas d'âme... On peut encore suggérer le fait que les femmes se représentaient elles-mêmes et ne pouvaient donc voir leur visage ; ou bien que l'identité n'était pas l'objectif de l'œuvre et toutes les femmes pouvaient alors s'y reconnaître. Revenons sur la dualité entre femmes sveltes et femmes adipeuses. Les remarques précédentes vont nous autoriser à porter un regard critique sur leur description. Le type adipeux, dont la forme ressemble à une ellipsoïde sphérique, a été recueilli surtout à Menton ( Côte d'Azur, France ), Lespugue ( Dordogne, France ), Savignano ( Italie ), Grimaldi ( Italie ), Willendorf ( Autriche ), Vestonice ( République tchèque ), Kostienki ( Russie ), Gagarino ( Russie ). Quant au type svelte, presque cylindrique, plus fréquent en Sibérie, on le retrouve à Laugerie-Haute ( Dordogne, France ), par exemple.
+ La statuette de Willendorf, rive gauche du Danube, en Basse Autriche ; calcaire ; 110 mm ( fig. 10) : elle est dite « Vénus » de par sa féminité et sa nudité. La largeur de son bassin est d'environ la moitié de la hauteur du corps et son épaisseur d'environ quarante pour cent. Ses jambes sont très courtes, amputées du mollet, tout comme les bras, atrophiés, qui reposent repliés sur les seins volumineux. La tête, sphérique, se dissimule sous une ample chevelure qui couvre le front et cache les yeux. Le tronc est court et épais, le ventre lourd et massif, les fesses débordantes. La vulve est précise et traitée de manière très réaliste.
+ Les figures gravettiennes de Grimaldi
+ La statuette en stéatite jaune ( 47 x 30 mm ; fig. 11) : elle présente un relief losangique pouvant figurer une vulve mais, selon Piette ( d'après Duhard, 1993 ), il s'agirait plus d'un relief abdominal, l'organe sexuel féminin n'étant pas visible en position debout. Son originalité est donc l'absence de fente vulvaire. Sa féminité est cependant figurée par les seins ( de nourrice ? ), son important relief abdominal ( lié à un état gravide ? ), des hanches et des fesses volumineuses. Les membres sont, une fois de plus, atrophiés. Le mouvement pourrait être représenté par la flexion de la tête et de l'avant-bras droit, les hanches donnant l'idée du mouvement de la marche...
+ L'Hermaphrodite ( stéatite, 52 x 17 mm ; fig. 12) : cette statuette présente la particularité d'être doublement sexuée ; c'est un homme avec des seins et un phallus érigé... On pourrait y voir un simulacre de coït...
+ Le Polichinelle ( stéatite vert pâle, 60 x 19 mm ; fig. 13) : il représente quant à lui une femme gravide stéatopyge.
+ Le Losange ( stéatite verte, 61 x 24 mm ; fig. 14) : on observe une grande ouverture losangique signifiant la fente vulvaire.
+ La figurine à double face ( stéatite verte opaque ; 62 x 21 mm ; fig. 15) : une face est sculptée selon les critères habituels, l'autre est gravée sommairement et l'a sans doute été secondairement à la première face. Cette figurine présente une seconde particularité, rarissime : elle est perforée à la partie inférieure du thorax, et devait sans doute être portée en bijou.
+ La statuette de Lespugue ( ivoire, 144 x 60 mm ; fig. 9) : c'est un stéréotype de toutes ces statuettes ; c'est aussi la plus grande des rondes-bosses françaises. On peut imaginer pour elle un état de gravidité ou bien un état corporel qui résulterait de plusieurs maternités ou bien encore une obésité majeure. Caractère rare, elle pose l'avant-bras et la main en flexion-pronation sur le sein ( voir infra ). L'on pourrait presque résumer ces descriptions par la citation suivante d' André Leroi- Gourhan ( 1980 ) : « Si l'on en croît les documents d'art mobilier et d'art pariétal, la femme paléolithique était une créature simple, nue et les cheveux bouclés, qui vivait les mains jointes sur la poitrine, dominant sereinement de sa tête minuscule l'épouvantable affaissement de sa poitrine et de ses hanches. » Or, il n'en est rien : on peut définir plusieurs formes de réalisme dans les représentations féminines qui attestent de l'activité et témoignent de la vie des femmes préhistoriques.
2.1.3 - Le réalisme des figurations féminines
Bien que très discuté, on peut voir plusieurs types de réalisme dans les représentations de la femme dans l'art paléolithique et, tout d'abord, un réalisme anatomique dans les proportions et les formes ; puis, un réalisme physiologique c'est-à-dire que l'artiste montre les aspects du corps qui permettent d'identifier le sexe féminin et de reconnaître les fonctions de la femme ( fonctions de génitrice, de nourrice, de partenaire sexuelle... ). On distinguera donc, à l'image de Jean-Pierre Duhard, 1993, au sein du réalisme physiologique, les réalismes : sexuel, kinésique, biologique, sociologique et pathologique. Il s'agit donc véritablement d'un langage corporel qui s'exprime par l'identité physiologique, c'est-à-dire par les caractères morphologiques, par les postures et par les traits du visage, les mimiques. Cette identité physiologique, que nous avons déjà analysée à travers l'étude des « Vénus », est essentiellement donnée par la région abdomino-pelvienne ; c'est en effet le moyen de déterminer le sexe d'un humain et de dire quelle a été l'histoire physiologique de cet individu : la femme est-elle multipare ? enceinte ? quel est son âge ?... Les représentations féminines sont donc des représentations « fonctionnelles ». Rappelons qu'il existe une évolution dans le temps de ces représentations féminines et deux grands courants qui ont produit de nombreuses statuettes de femmes : le Gravettien , puis le Magdalénien. Au Gravettien, soixante-dix pour cent des femmes représentées étaient enceintes, avec d'importants dépôts graisseux ; plus que quarante pour cent au Magdalénien. De même, l'artiste insistait davantage sur la représentation des seins ( de nourrice ). Au Magdalénien, ce sont les figurations vulvaires qui prédominent. Nous insisterons, dans cette partie, sur la description des représentations de femmes seules, telles que lors de la parturition ; car il existe également des scènes d'accouplement, bien que rares.
C'est le point qui porte le plus à controverses lorsque l'on aborde le thème du réalisme. Pour Piette ( d'après Duhard, 1993 ), ces statuettes féminines sont des copies de la réalité, et il défend le fait que les femmes gravettiennes étaient stéatopyges. Cette thèse est discutable car, selon l'époque, il est vrai que ces statuettes sont plus ou moins stylisées : plus l'art paléolithique évolue, plus l'image féminine ( et masculine ) est simplifiée, voire caricaturée. La tête est, en outre, figurée dans seulement cinquante pour cent des cas ; quand elle est représentée, les cheveux et les jeux de mimique sont rarissimes. Sur une plaquette d'Enlène ( Ariège, France ) de l'époque magdalénienne, on observe une femme qui tire la langue : est- -ce un signe d'extase ou de souffrance lors du coït ? Les membres sont atrophiés et il y a d'autres aberrations dans les proportions du corps. Cependant, on relève parfois des détails très précis. Prenons par exemple pour illustration la « femme à la corne » de Laussel ( Dordogne, France ; époque gravettienne ; fig. 16) : l'ombilic, les doigts de la main gauche sont très bien représentés. Cette femme porte dans la main droite la partie supérieure d'une corne de bison : est-ce là l'annonce de la célèbre corne d'abondance du monde méditerranéen ? Elle est très animée, très réaliste et témoigne par cette corne et par sa morphologie d'une histoire complexe. Elle se tient debout, les deux jambes divergentes, les genoux joints. Son visage est tourné à droite vers la corne portée. On peut reconnaître en elle une femme génitrice, multipare, enceinte et obèse gynoïde ( voir infra ), malgré l'absence de certains détails tels que les traits du visage, l'esquisse seulement des pieds, le non respect des proportions du corps... Ses hanches ne sont que deux amas superposés de graisse ; elle a un volumineux ventre, un discret sillon hypogastrique et surtout une gestuelle abdominale ( voir infra ) qui attestent d'un ventre gravide. Ses seins ptosés signifient son âge et l'allaitement. Notons encore la représentation de la fente vulvaire. Mais on pourrait « excuser » ces défauts de réalisme anatomique en évoquant la contrainte qu'est le support, sa taille et son épaisseur. Par exemple, le Polichinelle de Grimaldi ( fig. 13) est sculpté dans un bloc très étroit ( 60 x 19 mm ), ce qui pourrait expliquer la proéminence des fesses..., sans pour autant pour autant parler de femme gravide stéatopyge telle que les femmes Bushmen d'Afrique ( qui sont des cas rares en clinique humaine contemporaine... ). Le support représente également une contrainte du fait des convexités naturelles des parois des grottes ; mais cet argument n'explique pas non plus tous les défauts anatomiques. Pour défendre la thèse du réalisme anatomique, notons que les femmes sont parfois animées, que les parties féminines caractéristiques sont très bien représentées et que la simplification aurait pu être de règle par suppression des détails non nécessaires à affirmer l'identité physiologique : la caricature serait donc intentionnelle. Par ailleurs, on observe une tendance évolutive du Gravettien au Magdalénien allant d'un style descriptif ( avec représentation privilégiée des organes sexuels, tête et volumes féminins... ) vers un style elliptique ( qui ne conserve que les lignes essentielles du corps féminin ). Leroi-Gourhan a même tenté de définir des lois de construction des figures gravettiennes sculptées, avec une organisation des seins, de l'abdomen et du pubis au sein d'un cercle ( fig. 17).
Nous l'avons mentionné précédemment, la nudité des corps est nécessaire à l'affirmation de la différence sexuelle, d'autant plus que le visage ne le permet pas. La pilosité n'est pas représentée ( il y a rarement de pilosité pubienne ) ; mais cela semble « normal » étant donné que les humains ont une pilosité moins développée que celle des animaux, et les femmes moins que les hommes. De même, le vêtement est rare. Cette nudité va-t-elle aussi dans le sens de la simplification du dessin ? Est-elle une forme d'érotisme ?... L'hypothèse la plus probable est celle de l'affirmation de l'identité humaine, puis du sexe féminin et de l'histoire physiologique de la femme. D'autre part, la nudité facilite l'observation des caractères sexuels. Ces caractères représentés sont, pour rappel : +le gros ventre gravide ; +la gestuelle abdominale : une main posée sur le ventre, en symbole de grossesse ; +la vulve ; +les seins ; +les fesses ; et rarement : +les parures ( bijoux ) ; +les cheveux longs. L'activité sexuelle, que nous aborderons plus tard, est essentielle pour affirmer un réalisme physiologique.
Les représentations humaines au Paléolithique sont parfois animées : l'homme est en mouvement au sein de scènes avec des animaux ; la femme l'est sur des représentations isolées. Le membre supérieur, beaucoup plus fréquemment représenté que le membre inférieur, peut être mis dans différentes positions : + gestuelle mammaire : les bras de la Vénus de Lespugue ( fig. 9 ) ou de Willendorf ( fig. 10 ) sont posés sur leurs seins. + gestuelle abdominale : c'est le cas de la Vénus à la corne de Laussel ( fig. 16 ) et c'est le symbole de la grossesse. Ce peut être un substitut au gros ventre gravide lorsqu'il fait défaut. + gestuelle précrurale : cas de l'Hermaphrodite de Grimaldi ( fig. 12 ) : l'avant-bras et les doigts sont disposés sur le scrotum, ce qui ouvre une discussion sur une éventuelle scène de coït, voire de parturition ou encore de masturbation ; nous y reviendrons. + la main peut encore être positionnée vers l'avant ; latéralement ( fig. 13 et 14)... Le corps entier peut être mis en mouvement. On a observé une scène d'embrassade à La Marche ( Vienne, France ) ; une possible représentation de la marche concernant le Losange de Grimaldi, dont le corps s'appuie indifféremment sur les deux membres inférieurs ( plus à gauche ), écartés en ciseau et dont les fessiers sont déformés... Cela reste toutefois difficile à affirmer. Le corps au repos peut être en position assise ( à La Marche ) ou couchée ( deux femmes de la Magdelaine ( Tarn, France ), jambes écartées : est-ce d'ailleurs une invitation sexuelle ? une scène de parturition ?... ). Certaines parties du corps peuvent être ployées : le cou, le bassin, le genou...
Ce réalisme biologique, c'est l'expression de l'identité biologique de la femme dans son vécu fonctionnel, dans les grandes fonctions du corps féminin : grossesse, accouchement, allaitement... Ces fonctions ont un retentissement sur la morphologie féminine. En premier lieu, l'adiposité caractérise la féminité : la fécondité nécessite une certaine masse graisseuse. La femme, par rapport à l'homme, possède des caractères gynoïdes qui sont : la lordose lombaire supérieure, une musculature moins développée , un thorax plus étroit et une masse grasse deux fois plus importante dans la partie inférieure du corps que dans la partie supérieure. Piette ( d'après Duhard, 1993 ), qui, rappelons-le, défend le réalisme anatomique, distingue deux « races » dans les représentations de la femme paléolithique : les femmes stéatopyges et les femmes sarcogynes. Cliniquement, on distingue plusieurs formes d'adiposité ( fig. 18, selon Duhard, 1993 ) dont : + la stéatopygie postérieure ( par exemple, le Polichinelle de Grimaldi : fig. 13 ) ; + la stéatopygie étalée ( les Vénus de Laussel ( fig. 16), de Lespugue ( fig. 9), le Losange de Grimaldi ( fig. 14) ; + une adiposité « normale », souvent liée à la gravidité ; c'est le cas de la figurine à double face de Grimaldi ( fig. 15), de la Vénus impudique ( Dordogne, France ; fig. 19). Pour remarque, on parle de « Vénus impudique » car elle ne présente pas de tête, mais un sexe fortement marqué. Tous ces types contribuent au polymorphisme humain. La gravidité est une autre façon de représenter le réalisme biologique. Nous l'avons déjà étudiée. Enfin, des scènes de parturition sont représentées, ou du moins on peut imaginer que cet état a voulu être représenté. On soupçonne une expulsion en cours en ce qui concerne « les personnages opposés » de Laussel, ou bien est-ce une scène de coït ? ; la femme est enceinte, a les jambes ramenées sur le corps, elles se tient les chevilles. Quant au second personnage, est-ce un homme ? un enfant ( car il a un petit rapport céphalique ) ? De même pour l'Hermaphrodite de Grimaldi ( fig. 12) que nous avons déjà cité, qui aiderait manuellement l'expulsion de la tête. D'autres indices peuvent signer une scène d'accouchement notamment la représentation d'un gros ventre associé à une vulve béante ; c'est ce que l'on peut observer sur la statuette de Monpazier ( Périgord, France : fig. 20 ), sur le Polichinelle de Grimaldi ( fig. 13 ), le Losange ( fig. 14) et la figurine à double face ( fig. 15). Cette dernière représente, sur une face, une femme gravide et sur l'autre, non gravide : est-ce le but de la représentation de montrer ces deux états de la femme ?
Tous les sujets de la société sont représentés, tous les âges : on trouve des enfants, des vieillards... et pas seulement de représentations de femmes obèses ou sveltes. Un nouveau-né est figuré sur une plaque calcaire à La Marche: il a une tête volumineuse par rapport au reste du corps, les membres inférieurs fléchis ; on distingue même un cordon ombilical. Le sujet de Saint-Cirq-du-Bugue ( Dordogne, France ) pourrait également en être un ( fig. 21 ). A La Marche, on trouve également des profils d'enfants ( fig. 22 ). Tous les âges de la femme sont également représentés ( mais néanmoins en majorité des femmes adultes ) : non gravides, gravides, multipares, nourrices, et même des fillettes ( fig. 23 ) telles que celles de Laugerie-Basse [ qui n'est en fait que la « vénus impudique » ( fig . 19 ), à l'apparence de fillette] ou de Bruniquel ( Tarn-et-Garonne, France ). Dans les situations qui mettent en scène les femmes, nous verrons que l'on peut repérer une dichotomie sociale sexuelle, les femmes étant vedettes de scènes pacifiques ( naissance... ) et les hommes de scènes conflictuelles, accompagnés d'armes, d'animaux...
On ne considère pas comme pathologique la dysharmonie des proportions, ni l'absence de tête, de membres ou, au contraire, l'exagération des caractères sexuels qui sont intentionnels de la part de l'artiste, mais plusieurs « anomalies » pourraient être vues comme pathologiques ( Duhard, 1996 ) : + le goitre : on le repère sur certaines figurines de Grimaldi ( voir supra ). En effet, le goitre se développe fréquemment chez la femme enceinte en cas de carence isolée. Ce peut être une tumeur thyroïdienne ou parathyroïdienne, ou bien tout simplement un pendeloque ! + l'hermaphrodisme ( exemple : fig. 12, l'Hermaphrodite de Grimaldi ) : un tel individu possède les deux sexes, masculin et féminin, ou bien présente une dysgénésie gonadique. + les viciations pelviennes : il s'agit d'anomalies de forme et de dimension du bassin osseux, avec un retentissement possible sur l'accouchement. C'est net sur le Polichinelle de Grimaldi ( fig. 13) dont le bassin est développé d'avant en arrière. + les adiposités pathologiques : la Vénus de Lespugue ( fig. 9 ) a un buste environ « normal », mais les régions mammaire, abdomino-pelvienne et crurale sont beaucoup trop développées : est-ce donc une forme de stéatopygie, ce que l'on soupçonnait souvent à la fin du dix-neuvième siècle et au début du vingtième ( thèse soutenue par l'Abbé Breuil ; à l'inverse, Leroi-Gourhan prônait une conception idéale de la femme ) ? + les obésités pathologiques : l'obésité est pathologique si la graisse est située dans la moitié supérieure du corps car il y a dans ce cas un risque de complications vasculaires et métaboliques ( exemple : le Losange de Grimaldi, peut-être ; fig. 14 ).
2.2 - Réalisme dans les représentations sexuées du corps masculin
Au réalisme chez les femmes s'oppose le caractère hybride, schématique ou caricatural chez l'homme : « la femme s'éloignant moins que l'homme de la force de la nature, nous restons dans le monde où la raison ne saurait, même individuellement, affirmer sa prééminence » ; ceci expliquerait également le réalisme fort dans les représentations animales, les animaux étant très proches de la nature ( Bataille, d'après Duhard, 1993 ). Cependant, le réalisme est aussi identifiable dans certaines représentations masculines. Si l'on voit moins de réalisme parmi les hommes figurés, c'est avant tout car il y a moins de figurations masculines. Le réalisme, chez les êtres vivants, transcrit les fonctions corporelles les plus communes telles que l'alimentation, l'exonération, l'expression orale ou l'allaitement, mais cela seulement chez les animaux. En effet, ni homme, ni femme n'est représenté ainsi. On peut distinguer chez l'homme les mêmes fonctions du réalisme que celles mentionnées pour les figurations féminines. D'abord, le réalisme anatomique : la tête est, à la différence des femmes, presque toujours figurée ( on ne compte que huit pour cent d'acéphales ), et les membres pelviens sont aussi fréquemment représentés. Par contre, si chez la femme les détails anatomiques ( fesses, seins... ) permettent de reconnaître les différents états physiologiques possibles , il n'y a pas d'équivalent chez l'homme. Le rôle physiologique de l'homme est en effet réduit au pénis qui n'est fonctionnel que par l'érection et qui permet de signifier le sexe masculin. Le pénis évoque aussi la puissance et la suprématie, d'où l'association de l'homme à une arme dans certaines représentations ; par exemple, au Mas-d'Azil ( Ariège, France ; fig. 30 ) ou à Laugerie-Basse. En ce qui concerne le réalisme biologique, le sexe masculin est systématiquement représenté par les testicules, à l'extérieur du corps, même quand le pénis est présent ( ce qui n'est pas toujours le cas ). La carrure d'épaule constitue un caractère sexuel secondaire, plutôt masculin. Alors que les corps féminins sont dans l'ensemble statiques, les hommes se déplacent souvent : en marchant, en courant, en dansant ( exemple : le « Sorcier » de la grotte des Trois-Frères, voir infra ). Plusieurs âges de la vie sont représentés : les enfants ( fig. 22 ) et le vieillard de La Marche ( fig. 24 ). Le rôle des hommes au sein de la société paraît notamment au travers de la chasse et de la pêche, d'où leur fréquente apparition en présence d'animaux.
2.2.1 - Les figures masculines ithyphalliques
Parmi ces rares figurations, la statuette trouvée dans une sépulture de Brno ( fig. 25 ) est très intéressante du point de vue technique car elle a été montée par assemblage des différentes parties du corps : tête, torse, bras et jambes. Le visage est remarquablement bien figuré et même la barbe semble figurée. Sur le torse on distingue trois saillies : le bout du sein, le nombril et l'organe sexuel à la pointe duquel se trouve un petit sillon vertical qui figure l'urètre. D'autres figures masculines viennent de Brassempouy ( fig. 26 ) et de Laussel ( fig. 27 ) ; ou encore des grottes de Lascaux, Laugerie-Basse, etc... Leur point commun est la tendance à fixer des moments dramatiques. A Laussel, « l'Archer » ( fig. 27 ) représente probablement un homme tirant à l'arc ou un lanceur de sagaie : il réalise une rotation du corps, les épaules étant à des hauteurs différentes et les fesses de profil. Son sexe est cependant difficilement déterminable : les parties génitales sont discrètement figurées, et normalement chez un homme le phallus ou les bourses seraient visibles dans cette position. Selon Palès ( d'après Duhard, 1996 ), «le port d'une ceinture caractérisée est une très forte présomption en faveur du sexe féminin » : est-ce donc une danseuse ? ou une « forte femme juvénile » ? A Cougnac ( Quercy, France ; fig. 28 ) et à Pech-Merle ( fig. 29 ), on voit des hommes blessés sur les parois, gisant ou combattant. Au Mas-d'Azil, un homme est atteint par la griffe d'un ours ( fig. 30 ) ; d'autres sont transpercés par des flèches ou des sagaies.
Ces motifs phalliques se trouvent sur les statuettes et les gravures. Citons, par exemple, un phallus en bois de cervidé, provenant de la Gorge d'Enfer ( Dordogne, France ) couvert d'ornements symboliques ( fig. 31 ). Sur une gravure de La Madeleine, on peut observer à la fois une tête d'ours, un phallus et une vulve ( fig. 32 ). Le bâton phallique de Dolni Vestonice ( fig. 33 ) est parfois interprété comme la représentation stylisée d'un corps féminin ; des doutes subsistent. Sur un propulseur est gravé l'ithyphallique de Gourdan ( Périgord, France ; fig. 34 ). Quelle est donc la signification de ces nombreux bâtons phalliques ( fig. 35 ) ? Sont-ils des bâtons de commandement ? des propulseurs de flèches ? des objets rituels ? Sont-ils destinés au plaisir sexuel de la femme ( des godemichés ) ? On a pu observer chez certains Primates l'insertion d'objets variés dans le vagin en vue de provoquer le plaisir sexuel. Par ailleurs, le fait que le pénis de l'homme soit parfois représenté de façon démesurée nous permet-il de parler d'obscénité ? Pour Nougier (1984), l'obscénité est un leurre et n'a jamais existé ( n'oublions pas que l'on ne recense que peu de représentations sexuées - et encore moins sexuelles - dans l'art paléolithique ). On peut toutefois imaginer qu'il s'agisse d'érotisme... Plusieurs théories ont été émises pour expliquer que le pénis humain soit plus grand et plus visible que celui du singe. Tout d'abord, celle de la « compétition de sperme » entre mâles car les femelles avaient plusieurs partenaires sexuels ; ainsi, il faut produire plus de sperme pour avoir plus de chances d'être le mâle fécondant. Mais, chez les singes, ce sont les testicules qui sont plus gros ( Taylor, 1996 ). Selon une autre théorie, le pénis doit être plus long pour atteindre le col utérin de la femme ( ibid. ) ; mais le vagin « s'adapte à toutes les tailles » ! Ou bien encore, la pression féminine et la volonté de virilité auraient permis « l'allongement » du pénis mis en valeur par la bipédie et par la présence de poils principalement au niveau des organes sexuels. Enfin, ce serait dans le but de distinguer les deux sexes, les carrures des hommes et des femmes étant semblables ( ibid. ).
2.3 - Les figures anthropomorphes et les hybrides homme-animal
On parle d'« anthropomorphes », d'« hybrides », ou encore d'« humanoïdes », de « composites »..., ou bien on les qualifie de « sorciers », « shamans », « danseurs », « personnages déguisés », etc... pour désigner toutes les images humaines qui sont moins nettes, davantage stylisées que les autres, caricaturales ou animalisées : les inclassables. Un « anthropomorphe » est une image au moins partiellement humaine, pas totalement animale. Duhard ( 1996 ) a même imaginé un « indice d'humanité » ( fig. 36 ). Ces anthropomorphes sont souvent peints ou gravés à proximité de représentations animalières. C'est le cas à Marsoulas ( grotte prépyrénéenne, France ; fig. 37 ). L'abbé Breuil y relève d'abondantes figures humaines élémentaires, surtout des faces et parfois aussi des profils grotesques et enfantins. Les yeux sont souvent circulaires, la tête plus ou moins arrondie... la gravure est fine et nette. Leur position au sein de la grotte est très intéressante : ils sont systématiquement repoussés au fond de celle-ci. On pense que ces gravures ou peintures ont été réalisées par des chasseurs sans éducation artistique, d'où la médiocrité des dessins et leur situation particulière, loin des graphies animalières des artistes. Et leur but était peut-être d'assurer à leur famille la même protection que celle assurée au gibier par les représentations artistiques animales. Il se profile ici des clivages sociaux proches de nos contemporains... Les deux anthropomorphes de Rouffignac, baptisés « Adam et Eve » par Nougier (1984), dans leur face-à-face, introduisent peut-être la révolution sentimentale des hominidés... ? La détermination du sexe de ces figures est très délicate. Parmi les cent-trente anthropomorphes recensés dans l'art paléolithique occidental, seuls trois d'entre eux sont sexués. Les gravures de visages fantastiques des Combarelles ( fig. 38 ), de Marsoulas et de La Marche constituent un groupe à part : les images voisines d'animaux dans ces grottes sont parfaitement ressemblantes ( peut-être sont-elles faites par le même artiste ? ) Là aussi le sexe est difficilement déterminable ; on pourrait les définir comme sexuellement neutres. On les qualifie de « sorciers » : le Sorcier musicien des Trois-Frères ( Ariège, France ; fig. 39 ), le Sorcier de Lourdes ( fig. 40 ), le Sorcier de Lascaux ( fig. 41 ), ... Ceux-ci ne sont pas dans une position conflictuelle avec l'animal ( voir supra ). S'agit-il donc de chasseurs déguisés pour approcher le troupeau ? de shamans désirant s'approprier les qualités de l'animal imité ? ...
2.4 - Les humains mis en scène
Dans la majorité des scènes où co-figurent l'humain et l'animal, il s'agit d'hommes, chasseurs ou pêcheurs. La plus célèbre de ces scènes est certainement la scène du puits de Lascaux ( fig. 42 ). L'ensemble des peintures de Lascaux semblent avoir été exécutées en quelques saisons, par une seule génération d'artistes ( par un seul maître et son équipe ?) ( Nougier, 1982 ). Ces scènes se présentent sous forme de dessins animés : est-ce là le début de l'anecdote, de l'écriture figurative ? Avec la scène du puits, l'homme est mis en composition, en action : un chasseur vient d'abattre le bison, éventré ( ses intestins sont représentés ) ; on voit également un piquet à tête de corbeau : est-ce une marque d'appartenance ? Plus vraisemblablement, il s'agit d'un propulseur ; le trait est à proximité. Le chasseur est un homme nu schématique, filiforme ; sa masculinité est affirmée par le pénis en érection ; il ne repose que sur ses talons. Pour l'abbé Breuil, à l'origine de la thèse du shamanisme, l'homme de Lascaux est un sorcier ( shaman ) en transe, « les bras écartés en croix en état de dévotion mystique, accomplissant un acte fécondateur ». Au Mas-d'Azil, on observe l'homme affronté à l'ours ( fig. 30 ). Cet homme a une apparence simienne, mais de multiples caractéristiques telles que sa quadruple courbure vertébrale, attestent qu'il est humain. Peut-être porte-t-il un masque ? Il tient un bâton sur son épaule. Ce pourrait être soit une scène de chasse, soit une scène de danse. La verge de l'homme est érigée et l'on distingue un détail rare : la pilosité pubienne. Delporte (1993) a insisté sur les courtes incisions obliques gravées sur la nuque, le cou et le ventre : est-ce la représentation de la pilosité ? est-ce pour souligner le relief ? Dans la grotte des Trois-Frères, on a évoqué le Sorcier musicien ( fig. 39 ) jouant d'un arc musical. Dans sa partie supérieure, le « sorcier » est animal : il pourrait bien porter la dépouille d'un bison. Son pénis est également érigé. Il est entouré de nombreux animaux ; l'un d'eux, dont on suppose la représentation de l'anus, semble être au centre d'une scène de parturition. On peut encore imaginer une silhouette féminine, incertaine, gravide. Finalement, on peut justifier quelques remarques précédemment émises. Tout d'abord, l'animal est représenté avec davantage de réalisme que l'humain, schématisé ; l'homme se trouve au sein de scène de conflit ( chasse, ... ) ; et, souvent, le sexe érigé est exagérément développé ( par exemple, en ce qui concerne le Sorcier des Trois-Frères ). Certains y voient un symbole de possession sexuelle de l'homme sur l'animal.
2.4.2 - Représentation de l'activité sexuelle des humains
Selon Leroi-Gourhan ( 1965 ), l'érotisme et les représentations sexuelles sont - presque - inexistantes dans l'art paléolithique : « on ne connaît aucune scène d'accouplement humain dans tout l'art paléolithique, ni même aucun cas où une figure humaine ithyphallique soit au voisinage immédiat d'une figure féminine ». Il a néanmoins élaboré une thèse pansexuelle de ces représentations. A ce propos, l'abbé Breuil, qui, lui, admet certaines scènes de coït, l'accuse d'« obsession sexomaniaque ». Pour Palès ( d'après Duhard, 1993 ), « si l'on en juge par le nombre des organes sexuels, pénis et vulves indiscutables, figurés dans l'art paléolithique, soit isolément, soit sur des corps humains ou anthropomorphes, les artistes ne mettaient ni pudeur, ni complaisance excessive à définir le sexe de leurs congénères ». L'activité sexuelle des humains s'exprime, dans l'art paléolithique, sous différentes formes.
2.5 - Sociologie de la sexualité ( et de la sexualisation ) à l'époque préhistorique
Après s'être attachés à l'analyse des représentations pariétales et mobilières que nous fournit l'art paléolithique concernant la sexualité de nos ancêtres, nous allons émettre diverses théories à ce sujet. Ces hypothèses sont basées sur l'imagination principalement, sur l'analogie avec des tribus extra-occidentales, une fois de plus, et sur des détails retrouvés de l'époque paléolithique. La sexualité et la reconnaissance de l'état sexué des humains, même si elle n'était pas une obsession, ont contribué à l'organisation du groupe social. De nouveaux rapports ont été entrevus entre l'individu et le dispositif de groupe dont il tire l'efficacité car l'Evolution humaine a accompagné le développement de la technique ( outils, ... ) et du langage. Cependant, la vie sociale est apparue avant Homo sapiens chez les Vertébrés.
2.5.1 - La conscience du sexe et de la reproduction
Pour certains préhistoriens, « les populations préhistoriques n'avaient pas d'idée du sexe correspondant à nos représentations post-freudiennes ». A l'époque préhistorique, avant le développement de l'agriculture, « rien ne prouve que les hommes avaient conscience de leur rôle physique dans la production des enfants » ( Reay Tannahill, d'après Taylor, 1996 ) ; c'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles on a imaginé la thèse du matriarcat primitif et le mythe de la Déesse-Mère donnant des « pleins pouvoirs » aux femmes. Pour Sire James Biment ( d'après Taylor, 1996 ) encore, « l'homme de l'Age de Pierre n'associait probablement pas l'acte sexuel avec ce qui se passe neuf mois plus tard [...]. Du reste, je doute qu'il ait su compter jusqu'à neuf ! » . Les hommes préhistoriques n'avaient donc, selon eux, aucune idée du contrôle conscient des naissances. De nombreux animaux pourtant font la distinction entre sexe et reproduction, bien que la reproduction implique le sexe. Pour Robin Dunbar ( d'après Taylor, 1996 ), éthologue, le viol représente un acte impossible pour les hommes sans attrait, cela moins pour assurer leur reproduction que pour leur plaisir ; le sexe comme plaisir et instrument de pouvoir est aujourd'hui largement reconnu parmi les humains. En outre, certaines sociétés extra- -occidentales ( aux Iles Trobriand, par exemple ) ignorent encore la physiologie de la conception ; les enfants sont le résultat d'un esprit divin et la semence n'est qu'un nutriment pour le fœtus. Mais le lien entre semence et naissance est connu, étant donné que les femmes vierges ne tombent pas enceintes... Pour Taylor (1996), «la plupart des communautés préhistoriques pratiquaient le contrôle de leur fécondité et étaient pleinement capables de distinguer sexualité et reproduction. » ( voir infra ). Ce contrôle des naissances signifie donc sélection sexuelle et investissement culturel sur les enfants désirés. Si cela a vraiment été le cas, la compréhension du lien entre la sexualité hétérosexuelle et la grossesse a joué un rôle majeur dans l'évolution de la conscience humaine. A ce propos, Chris Knight ( Université d'East-London ; d'après Taylor, 1996 ) a proposé la thèse « de la grève du sexe » comme théorie de l'évolution culturelle humaine : à l'époque préhistorique, les femmes ont besoin de nourriture pour elles-mêmes et pour leurs enfants, et il appartient à l'homme de chasser le gibier, les femmes étant contraintes à materner. Ainsi, plus les femmes ont d'enfants, plus il est difficile pour elles de les nourrir. Or, les hommes pratiquent la loi « viande contre sexe » ! Afin de contrôler les naissances, les femmes simulent leurs règles ( à l'aide d'ocre rouge ) au moment où elles ovulent ; mais les hommes, d'après la logique de cette théorie, n'ont pas de rapports sexuels avec les femmes au moment des règles. Les femmes font donc « grève du sexe » par de fausses menstruations ; de ce fait, elles ne tombent pas enceintes et ont suffisamment de nourriture. Les hommes ont donc un intérêt pour leur descendance, même s'ils n'en sont pas conscients. Et s'ils ne voulaient pas aider les femmes avec enfants, la « coalition des femmes » ( thèse de Power ; d'après Taylor, 1996 ) y aurait suppléé. Cette coalition féminine aurait eu pour but d'aider les femmes les plus pauvres en graisse ; en effet, la fécondité est liée à un apport minimal en graisses nécessaires, donc, pour ovuler et être réglée. Les hommes, d'après cette théorie, allaient chasser au moment des règles de la femme ( comme actuellement, règles et sexe étaient tabous ?! ). Les femmes pauvres en graisse, non réglées, n'étaient donc pas « approvisionnées » en viande. C'est pourquoi les femmes, solidaires, pratiquaient la « synchronisation des règles », c'est-à-dire que la femme pauvre simulait ici ses règles grâce à un don de sang, en quelque sorte, de la part des autres femmes du groupe. Un autre argument en faveur de la « grève des sexes » : l'augmentation du volume cérébral, succédant à la station verticale d'Homo sapiens, et rendant l'accouchement plus difficile, aurait encouragé les femmes à une sélection sexuelle par la restriction du nombre des grossesse. Cette évolution cérébrale aurait par ailleurs permis l'émergence du langage : du langage figuratif, à travers l'art paléolithique, de façon sûre ; et peut-être même du langage articulé ( ou du moins des grognements, des cris et des chants ? ). Aujourd'hui, nous pouvons affirmer que le langage est le moyen d'imaginer, et que l'imagination est à l'origine des différentes conceptions du sexe, selon les sociétés... ; le langage est le moyen d'accroître le plaisir sexuel par l'empathie réciproque des partenaires ( émergence de la notion d'amour, et naissance des sentiments ). Sur le plan anatomo-physiologique, des aires cérébrales liées à la parole ( aire de Broca ), ainsi que des organes liés à la phonation ( larynx, résonateurs nasaux, apophyses mandibulaires... ) se sont développés dès Homo habilis, voire même chez les Australopithèques. Pour quelques théoriciens, la parole est ce qui fait l'unicité d'Homo sapiens. Cette thèse est par conséquent excessive aux vues des connaissances sur les autres Hominidés évoqués ci-dessus. Nos connaissances actuelles montrent également un lien entre les centres supérieurs ( responsables du langage et connus par étude des crânes ) et la motricité technique ( la main, dont on connaît les œuvres : outils, ... ) ( Leroi-Gourhan, 1964 ). Avec Homo sapiens émerge également l'aptitude à fixer la pensée dans des symboles matériels ; « le graphisme débute non pas dans la représentation naïve du réel mais dans l'abstrait », ce que nous indique l'art préhistorique. Cet art figuratif a une finalité plus communicative ( une forme de langage ) qu'artistique ( ibid. ).
2.5.2 - Les modifications naturelles et volontaires de la physiologie féminine
Outre la conscience, la perte de l'oestrus chez la femme ( humaine ) est une différence essentielle avec les autres Mammifères. L'oestrus est l'état hormonal de réceptivité sexuelle commun à tous les Mammifères et notamment aux Grands Singes. Ainsi, chez les humains, cette perte permet une disponibilité sexuelle absolue ( non soumise à des périodes de rut ). C'est ce qui « fût peut-être la raison d'être des normes et des interdits qui, dans toute société humaine, limitent les usages et les pratiques de la sexualité » ( Cohen, 2003 ) ; Cohen veut par exemple évoquer l'inceste qui est à la base du fondement de tout groupe social. Pour Lévi-Strauss ( d'après Cohen, 2003 ), toute société humaine a produit différentes normes concernant l'inceste qui est désigné différemment selon les sociétés ( exemple : les relations sexuelles avec un oncle sont possibles, sans être nommées « inceste » ). Si l'inceste était permis, nous serions des milliards et milliards sur terre ! La perte de l'oestrus chez l'Homme, par rapport aux Grands Singes, rend possible la régulation des comportements : d'autres activités ( travail, ... ) sont ainsi possibles. Les bonobos règlent également leur sexualité par leur mode de vie ; néanmoins, leur sexualité est davantage de l'ordre de la civilité, il n'y a pas de plaisir dans leur sexualité. Plusieurs théoriciens ont imaginé que la femme préhistorique était déjà capable de modifier sa physiologie, d'aller « contre nature ». Nous en avons déjà vu un exemple avec la théorie de la « grève des sexes » permettant le contrôle des naissances. Et l'on va à présent imaginer ce contrôle ( sélection sexuelle ) avec la contraception des préhistoriques. La contraception « primitive » serait une contraception par les plantes, libérant ainsi les femmes de la fonction reproductive. Il est donc admis, dans cette théorie, que la conscience de la reproduction existait ( au moins parmi les femmes ) ; de même que la conscience du sexe comme plaisir ou instrument de pouvoir. Notons d'abord que le corps a ses propres mécanismes contraceptifs : la femme n'a pas de règles après la grossesse, le contrôle se fait par la lactation. Voici plusieurs sortes de contraceptions préhistoriques qui ont été imaginées, à commencer par l'emploi de compresses vaginales caustiques ( ou bloquantes ). Dans l'Egypte antique, le papyrus de Kahum, qui traite de gynécologie, et datant de 1900 avant J.-C., prescrit du natron ( c'est-à-dire du carbonate de sodium liquide ) associé à des larmes de crocodile comme spermicide. Le papyrus d'Ebers ( 1550 à 1500 avant J.-C. ) prescrit, quant à lui, des compresses contenant de la gomme d'acacia. Dans la Rome antique, il était populaire d'utiliser un demi-citron, pressé dans le vagin, comme pratique contraceptive. Il existe également des plantes aux vertus contraceptives répandues et efficaces ( ? ) ; il est possible qu'elles aient été employées dans la Préhistoire. Ces plantes ont en effet une chimie hormonale connue dans certaines sociétés contemporaines et déjà au temps de la Grèce et de la Rome antiques ; certaines sont mêmes employées par des Primates ( l'Orang-Outang ). Hippocrate savait que la racine du lacet ( une carotte sauvage ), per os, prévient de la grossesse et y met un terme. Cet abortif a été utilisé jusqu'au seizième siècle et l'est encore dans certaines parties des Etats-Unis. En 1986, on lui a découvert un pouvoir bloquant de la production de progestérone et on a ainsi mis au point la « pilule du lendemain ». On connaît d'autres plantes abortives : la myrrhe, l'artémise, la rue, la variété Ferula de fenouil géant ( employé par les Grecs sur la côte d'Afrique du Nord au septième siècle avant J.-C. ) ; le ferujol empêche expérimentalement la grossesse chez le Rat jusque trois jours après le coït. En 1933, on a découvert que le saule contient la trihydroxyoestrine, proche des oestrogènes ( Skarzynski ). Puis Buterrandt et Jacobi mirent au jour une hormone féminine présente dans le palmier et le grenadier. Ces substances hormonales sont capables, soitd'arrêter, soit de provoquer les règles ; ou bien de soulager le syndrome prémenstruel ; ou ce sont des substances aphrodisiaques, contraceptives ou abortive ( d'après Taylor, 1996 )... L'Ayurveda, médecine indienne, détient une pharmacopée d'environ soixante-quinze plantes dont vingt-huit sont efficaces pour avorter ou provoquer les règles ou pour traiter l'impuissance, les troubles sexuels.... Parmi elles : la fleur de paille épineuse, le céleri, la palme de noix de bétel, le bambou, la papaye, le sésame, la cardamome, les plants de coton, le cresson, le cumin noir, le bois de santal, le poivre noir, le safran, ... Elles sont utilisées sous forme de suppositoires, de douches vaginales, de décoctions buvables... Il est donc possible que les tribus de chasseurs-cueilleurs des temps préhistoriques aient usé des mêmes plantes aux mêmes fins. On a retrouvé des traces de dépôts de racine de bourrache : était-ce pour ses vertus dans le traitement de syndromes prémenstruels ? ou pour ses vertus aphrodisiaques ? Toutefois, était-il nécessaire pour les femmes d'avoir recours à la régulation des naissances, par une méthode ou par une autre, étant donné que la forte mortalité infantile qui devait exister régulait naturellement la natalité ?
2.5.3 - L'organisation des sexes dans le groupe social
A partir des années soixante, le mouvement féministe prend un essor considérable aux Etats- -Unis et trouve un point d'ancrage dans la préhistoire : la place des femmes dans les sociétés primitives renvoie à celle qu'elles occupent dans le monde contemporain. Depuis le dix- -neuvième siècle, l'image des femmes préhistoriques n'était guère glorieuse : maltraitées, abusées sexuellement... par les hommes chasseurs, dominants ( fig. 54 ). Des travaux, menés d'ailleurs par des femmes préhistoriennes et ethnologues, anthropologues..., sont entamés afin de mettre à bas ces idées pré-conçues et de mettre en évidence leurs rôles au centre de la vie sociale et économique : la cueillette, qui représente deux tiers de la nourriture consommée par un groupe de chasseurs-cueilleurs ; le dépeçage des animaux ; le tissage ; la vannerie ; on attribue même aux femmes l'invention de l'agriculture et la domestication des animaux. Aujourd'hui, le courant féministe révolutionnaire s'estompe peu à peu : « il ne s'agit plus de chercher dans un recours à l'origine les preuves de la prééminence des femmes - mais plutôt d'identifier, à l'aide des méthodes archéologiques rigoureuses, les différents rôles qu'elles ont réellement assumé dans la Préhistoire » ( Cohen, 2003 ). Les statuettes féminines ( voir supra ) témoignent de la place des femmes dans la culture préhistorique. Certains préhistoriens ont vu dans cette forme d'art l'équivalent préhistorique de la pornographie contemporaine, dans la mesure où cet art serait fait par les hommes et pour les hommes ( fig. 55 ). Et pourquoi ne serait-ce pas de l'érotisme ? Les chasseurs, frustrés par la dureté de la vie « extériorisaient leurs besoins et leurs désirs » ( Passemard, d'après Cohen, 2003 ). Pour d'autres, il s'agit d'art fait par les femmes et pour les femmes, pour leur usage ou pour l'initiation des adolescents à la sexualité ( fonctions rituelle et religieuse ). Nous aborderons ultérieurement le rôle supposé de ces figurations féminines dans les religions, comme représentations d'une Grande Déesse-Mère ( Vénus ), symbole de fécondité, et cela jusqu'à l'Age du Bronze. Cet art s'inscrirait alors dans une société matriarcale et matrilinéaire ( Gimbutas, d'après Cohen, 2003 ). En ce qui concerne la théorie populaire et sexiste de supériorité de l'homme sur la femme au Paléolithique, qui cantonne les hommes à la chasse et les femmes et enfants dans la grotte ou à la cueillette, Darwin s'y opposait en son temps ; et il prônait d'ailleurs des caractères génétiques égalitaires entre les deux sexes. Au Néolithique, la division sexuelle des tâches s'effectue comme suit : les hommes attelés au labourage des terres et les femmes condamnées au portage des enfants - toujours selon ces théories vulgaires. Cette idée de dominance de l'homme sur la femme est remise en cause par l'observation des bonobos. Ces Grands Singes sont les représentants les plus proches des premiers Australopithèques ( il y a quatre millions d'années ). La plupart de leur temps est consacrée au sexe ; on observe : une activité hétérosexuelle entre adultes ; des actes de tribadisme, c'est-à-dire des frottements génitaux entre femmes ; les hommes, eux, pratiquent des « joutes de pénis ou de postérieurs » ; et les mères initient leurs petits à la sexualité. Le sexe agit donc comme « ciment social ». En outre, l'étude de la dichotomie sociale sexuelle dans les sociétés de chasse au Paléolithique révèle que, certes les femmes se livrent surtout à la cueillette, mais qu'elles participent également à la chasse avec les hommes. Hommes et femmes vivent en harmonie avec la nature et sont parfaitement intégrés à l'environnement. Aucune trace de guerre n'a encore été fournie : les relations humaines entre les peuples étaient paisibles. Les blessures observées sur les ossements ne sont jamais dues à des pointes en silex, mais sont, au contraire, souvent consolidées : les blessés étaient donc pris en charge par la société ( coopération ) ( Leroi-Gourhan, 1964 ). Le climat de paix de cette époque peut s'expliquer par la constitution d'alliance entre les tribus paléolithiques, avec échanges de femmes ( et d'hommes ) ; l'exogamie est le moyen d'éviter les guerres endémiques. Le statut prépondérant ( ou au moins égalitaire avec les hommes ) accordé aux femmes peut s'expliquer par leur rareté liée à une forte mortalité infantile et maternelle. Ou bien par leur rôle dans la conception et la méconnaissance de celui des hommes à cette époque. Aujourd'hui, ce rôle masculin étant connu par les représentants de la gente masculine, une théorie propose que les hommes, soucieux de transmettre leurs gènes, multiplient leurs partenaires sexuelles afin d'augmenter les chances d'avoir un descendant portant la moitié de leur patrimoine génétique ; car, à la différence de la femme, l'homme ne peut pas être sûr que l'enfant que porte sa compagne est bien le sien ( sauf grâce à des tests génétiques, encore inaccessibles au « grand public ») ! La théorie saugrenue des « spermatozoïdes anticocufiants » repose sur le fait - supposé - que tout le sperme ne féconde pas l'ovule et que certains spermatozoïdes sont capables d'attaquer les spermatozoïdes d'un « concurrent » ou de constituer une barrière à leur accès à l'ovule ( Taylor, 1996 ). Mais il se pourrait, dans le cadre de cette hypothèse, que ce soit la femme, par simples contractions utérines, qui puisse choisir de conserver ou de rejeter le sperme. Sans trop développer l'analyse de cette époque, nous mentionnerons brièvement la situation des femmes au Néolithique. Deux révolutions se succédèrent, la première datant d'environ 10000 avant J.-C. ( fin du Paléolithique ), marquée par des bouleversements d'ordre climatique. C'est à ce moment que naît l'agriculture à la houe, inventée par les femmes selon Boulding ( ibid. ): elles remarquent les phénomènes de germination des céréales, face à la raréfaction du gibier, et sont ( seraient ) également à l'origine de la poterie, de la fabrication des meules de pierre... Ainsi, leur condition sociale s'élève ( société matriarcale : voir infra ) ; et la transmission des savoirs s'effectue en lignée féminine ( filiation matrilinéaire ). La deuxième révolution technique se situe au Néolithique Moyen ( entre 6000 et 3000 ans avant J.-C.) : une explosion démographique, liée à une abondance alimentaire et à la sédentarisation, aboutit au renversement de l'organisation sociale et du statut des femmes. Ces nouvelles techniques sont des énergies nouvelles ( eau, vent, force bovine... ), les propriétés physiques des métaux, le calendrier solaire, l'élevage des animaux, ... et l'homme remplace progressivement la femme dans la production agricole. La propriété privée, l'accumulation des richesses, les classes sociales, les guerres... naissent en même temps que se dégrade la condition féminine et disparaît la dominance féminine dans les religions ( voir infra ). Les sociétés patriarcales émergent de cette seconde révolution néolithique.
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